Les moulins de Villeneuve l'Archevêque

 

Les moulins banaux de Villeneuve l'Archevêque

1197

La plus ancienne mention de moulin figure dans le supplément à la charte de 1172 qui octroyait à Villeneuve les coutumes de Lorris.

L’archevêque Michel de Corbeil et Anseau de Trainel, qui avaient une partie de la seigneurie de Villeneuve, ayant eu quelques difficultés avec les habitants, au sujet des corvées et des droits de moulin, consultèrent encore les coutumes de Lorris et les résolurent ainsi :

« Lorsque nous voudrons faire conduire nos vins sur les charrettes des habitants, nous leur payerons les frais de transport. Aucun bourgeois ne devra moeson s’il ne tient terre de villenage, les meuniers seront tenus d'aller chercher et de ramener les grains aux habitants et de les vanner, et les revanes (criblures) appartiendront au propriétaire du grain, autrement ce dernier sera libre d'aller moudre ailleurs ».

Ce supplément à la charte primitive fut fait en 1197. (Quantin, annuaire de l'Yonne 1853)

Le temps des donations

Grands utilisateurs de force hydraulique, les cisterciens installés à Vauluisant depuis 1127 semblent avoir plutôt recherché des participations dans l'usage des moulins existants que suscité eux-mêmes des constructions en dehors du monastère lui-même et de Lailly.

Le moulin de Villeneuve a été construit par les habitants et l'archevêque de Sens, seigneur de Villeneuve, jouit de la Banalité ; mais les donations se poursuivent en faveur du monastère.

1221

Guillaume de Flacy et sa femme Agnès donnent à Vauluisant pour le salut de leur âme et celui de leurs parents, tous leurs droits sur les moulins à moudre, moulin à foulon et moulin à piler la guède, avec la pêche en plus (Cartulaire de Vauluisant, copie du XIIIe à la Bibliothèque Nationale, Charte de Michel, officiai de Sens) (Signalé pr Josephine ROUILLARD)

Garnier. écuyer, prévôt de Villeneuve donne a Vauluisant un muid de froment et grosse mouture à prendre sur les moulins de Villeneuve pour le repos de son âme. (Archives de l'Yonne-H 785)

1241

Garnier écuyer, prévôt de Villeneuve donne à Vauluisant un muid de froment et grosse mouture à prendre sur les moulins de Villeneuve pour le repos de son âme. (Archives de l'Yonne-H 785)

1319

Guillaume de Melun réunit à son domaine la huitième partie des moulins (annuaire de l'Yonne 1853).

En 1328, il se fait céder par l'abbaye de Marmoutier la terre de Maupas.

1330

Il s'élève un différent entre l'abbé de Vauluisant-Nicolas de Châlons- et l'abbé de Saint-Jean-les-Sens au sujet des dimes de grain de Villeneuve.

L'abbé Nicolas avait obtenu du pape Jean XX une bulle nouvelle qui confirmait l'abbaye de Vauluisant dans tous ses droits. L'année suivante, quelques difficultés s'étant élevées à propos des dîmes de grain de Villeneuve, une sentence les leurs partage par moitié.

1351

Amortissement par Gilles de la Loupetière, chevalier de la troisième partie des moulins de Villeneuve, acquise d'Anseau de Conflans par Jean Dubec, receveur du baillage de Sens, le dit amortissement payé 40 écus d'or, Jean Dubec donne à l'abbaye tout ce qu'il possède sur les moulins (A.Y-H 785)

L'abbé est alors Estienne II qui gouverne l'abbaye de 1349 à 1368.

La guerre de 100 ans

L'invasion des anglais n'entraîne que misère, pillages et ruines Apres la bataille de Poitiers en 1356, le fameux Robert Knowles qui commandait l'armée anglaise en Champagne ravagea Villeneuve et ne s'arrêta que devant Troyes (1359). Les moulins appartenant par indivis à l'Archevêque de Sens et aux religieux de Vauluisant sont complètement détruits.

1383

On rétablit deux visiteurs de métiers de draperie et de tixanderie (A.Y-G 556). La draperie de Villeneuve existait « ancienneté », on fabriquait des draps de couleur et des draps non teints. Le moulin à foulon et le moulin à piler la guède existaient-ils encore ?

1391

Permission est donnée par Jean de Savigny, bailli de Sens, de reconstruire les moulins de Villeneuve situés près du château dudit lieu (A.Y-H 679).

1395

Quarante-deux habitants de Villeneuve se retirent dans le château et y logent en payant qui 20 sous, qui 10 sous, 7 sous ou même 5 sous.

L'un d'eux fait bail pour 6 ans d’une chambrette située près de la porte au prix de 40 sous par an (compte rendu de l'Archevêché de Sens-A.Y-cité par Quantin dans l'annuaire de l'Yonne 1853).

Le pays est en détresse. Taveau en fait le tableau :

« Par la continuelle suite des guerres, le pays de France estoit si ruiné que la plupart des champs plus fertiles estoit demourés en friches et sans culture et ny avait que quelque peu près des villes que l'on labouroit comme à la desrobée. Les villaiges et bourgs quy auparavant estoient bien peuplés estoient déserts et inabites et ny avoit que les villes quy estoient quelque peu fournies d'habitants lesquels néanmoins par la longue durée des guerres et mortalité survenue estoient si dénuées que l'herbe croissait en aulcun endroit qui jadis souloient estre bien fréquentes  ».

La guerre des Armagnacs et des Bourguignons bal son plein. La Champagne en est un des principaux théâtres.

Dans un procès de l'Archevêque contre les moines de Vauluisant au sujet des moulins (A.Y-F-cité par Quantin en 1853), un témoin raconte :

1450

« A l’occasion des guerres survenues en ce royaume depuis les trespas de feu Loys d'Orléans, lesquelles ont duré l'espace de plus de quarante ans et jusqu'en l'an cinquante (1450), qui fut le temps de la réduction du pays de la Normandie, le lieu de Villeneuve l'Arcevesque et le pays d'environ fut et a esté tout détruit et abandonné, tellement qu'audit lieu et pays d'environ n'y a eu pendant bien longtemps aucuns habitants ou du moins très-peu et en petit nombre. Ce n'est qu'après l'an 1450 que ledit pays se commença petit à petit à repopuler et mettre en nature. Et durant ces guerres pour ce que les deux moulins de Villeneuve avaient été détruits, l'archevesque de Sens, ou ceulx qui pour lors estoient retraicts oudit chastel firent faire de nouvel uny molin a bief en la basse-cour d'iceluy chastel pour y aller seurement mouldre durant lesdites guerres. Et pour iceluy moulin faire mouldre et tourner, firent descendre et venir audit molin la plupart de l'ancien cours de la rivière de Vanne qui paravant venoit entre l'église paroissiale et la ville de Villeneuve l'Archevêque ».

L'abbé Antoine le Pescheur (abbé de 1456 à 1487) est obligé d'interpeller l'archevêque de Sens, Louis de Melun, à propos des moulins. Ils appartiennent à l'archevêque mais le monastère a sur ce moulin une rente payable en blé.

Gravement endommagés, l'archevêque les a reconstruits à l'intérieur de l'enceinte de Villeneuve. Prétextant que ce ne sont plus les mêmes moulins, il se refuse à payer la rente au monastère.

1469

Un accord intervient le 11 septembre 1469 qui a du être dénoncé par la suite, car en 1491 les religieux sont obligés de déposer une nouvelle plainte pour le même motif.

1496

Le 22 mars, l'accord stipule que les moines gardent la rente sur les moulins.

Pour construire ce nouveau moulin, le cardinal de Bourbon avait du vendre une coupe de 22 arpents des bois de Vaudeusr et de Chatillon aux sieurs Dauge pour 20 livres l'arpent,« afin de payer la construction d'un moulin qu'il fait élever à Villeneuve » (A.Y-G 559). 

Les guerres de religion

La guerre entre catholiques et protestants amène de nouveaux désastres Les huguenots s'emparent de presque toutes les villes du Senonais. Ce qu'en dit Tarbé en 1806 :

1562

Les calvinistes se contentent de piller Vauluisant ; ils s'abstiennent de brûler ce monastère, par la raison que le cardinal de Chatillon en est l'abbé, et qu'il est de leur parti ; mais les ligueurs, en dévastant Villeneuve, n'ont pas les mêmes égards pour Pellevé, qui en est seigneur, et qui est cependant regardé comme un des principaux chefs de la Ligue : la partie de la villes où les huguenots mettent le feu, est précisément celle ou sont situés les moulins banaux de l'archevêque. Ils n'y laissent pas pierre sur pierre le 10 juin 1570.

1589

Renaud de Beaune, successeur de Pellevé, trouve les moulins dans un tel état de destruction, que se trouvant obligé, avec tout le clergé de France, d'acquitter une taxe envers le roi, il profite de la permission qui lui est accordée par le pape et ensuite ratifiée par lettres-patentes, pour aliéner cette propriété avec ses dépendances, le saut d’eau, le droit de banalité, trois arpents de pré, etc.

L'adjudication en est faite le 30 mai 1596, à Jacob Moreau, bourgeois audit lieu, aux charges de rebâtir à neuf les moulins, d'en payer trois cent trente-trois écus et un tiers d’écu de prix principal, et deux sous pour livre de cette somme, deux deniers par an de censives portant vente et non Jods, et encore trente-trois écus et un tiers d'écu, avec un muid de froment de rente, payable au jour de la Toussaint

L'acquéreur veut que la postérité se ressouvienne de cette mutation. Les moulins rebâtis avec solidité, à quelque distance de leur ancien emplacement, montrent une inscription gothique au bas de la porte; on y lit ces mots :

« Ces moulins ont été brûlés et ruinés rez-terre par les gens tenant le parti de la Ligue, l'année 1589, et réédifiés par honorable homme Jacob Moreau, élu pour le roi en ce lieu de Villeneuve-L’Archevêque, l'an 1596 ».

Au-dessus sont ses armes en relief, d'azur à la gerbe d'or. L'inscription existe encore dans la cour.

1642

L'archevêque Octave de Bellegarde veut rentrer dans ces moulins et les réunir dans son domaine : il y a un procès à cet égard ; mais, par transaction du 16 juillet 1962 passée devant Boullard, notaire à Sens, les moulins demeurent au sieur Pierre Moreau, secrétaire du roi, fils de Jacob, et à leurs héritiers et ayant-cause, au moyen de cent-cinquante livres de rente, en sus de celle portée dans le premier contrat.

1668

L'archevêque Mgr de Gondrin loue la pêche par bail, pour quinze livres tournois, au "moulnier" Nicolas Gérard.

1676-1680

Vauluisant est confirmé dans ses droits par le baillage de Sens, le 7 décembre 1676 et le 18 janvier 1680.

1744

Voici quels étaient les tarifs des droits seigneuriaux, reconnus le 15 novembre 1744 par les habitants à l'Archevêque:

« Droits de poids et mesure sur toutes les marchandises vendues à Villeneuve, à raison de 2s. 6d. du cent pesant ; pour la cuisson des pains aux fours banaux, à raison de 12d. par 20 livres avant la cuisson ; droit de minage de tous grains, a raison d'une chopine par bichet. icelui livré, lequel bichet racle contient 17 pintes racles ; droit de raclage dù par les habitants de la ville et des faubourgs pour les blés, grains et pois qu'ils exposent au marché, 2d. par bichet : droit d'étalage par chacun an sur tous les marchands dudit Villeneuve, 5s. ; droit d'étalage sur tous les marchands forains, pour chacun étalage en la ville et faubourgs, 5s. ; droit d'étalage, par chacun an, sur les drapiers et tisserands de la ville et faubourgs, 5s. ; droit d'étalage sur les drapiers et tisserands forains, pour chacun étalage, 5s. ; droit d'étalage sur les bouchers dudit Villeneuve, à raison de 5s. par an ; droit d'un denier sur toutes marchandises, de quelque espèce qu'elles soient, comme bétes, fruits, vaisseaux, ballots de chanvre et laine et autres choses vendues au-dedans dudit Villeneuve et faubourgs ». (A.Y-G 556)


Par ailleurs, les habitants contestent la banalité du moulin, celui-ci appartenant à la veuve et héritière du Sieur François Poney et non à l'archevêque. Les Poney sont drapiers.

Epoque révolutionnaire  

1789

Dans les cahiers de doléances, les habitants font allusion aux moines et se plaignent :

« Que les banalités des moulins sont des restes affreux de la barbarie féodale, avec lesquels les propriétaires ou fermiers de ces banalités peuvent, au moyen du défaut de concurrence, voler impunément ceux qui y sont assujettis et sans qu'il existe aucun moyen pour eux de faire constater le tort qu ils éprouvent ni de s'en faire rédimer. Il importerait, pour le bien public, que Sa Majesté supprimât cette désastreuse servitude ». 

1791

Dans les déclarations et inventaires concernant l'abbaye,

« la rente sur les moulins banaux est de 96 bichets de froments, mesure de Villeneuve. Cette rente est le prix de la cession faite par l'établissement de la banalité sur lesdits moulins. La suppression des banalités entraîne celle des droits seigneuriaux qui en étaient le prix »

Epoque moderne

1798

Après avoir acheté des terrains à la vente des biens nationaux, Louis Buttet fait construire le moulin d’en bas (3 mai 1798) et creuser un canal devant lui servir de bief.

1801

Jusque-là, le moulin est à grain ; mais une plaque gravée nous apprend :

« L'an 1801 de la République le neuvième sous la préfecture de Jean Baptiste Rongier Labergène, Louis Boulley, sous-préfet, cette papeterie a été édifiée par dame Louise Gabrielle Rèvillon sous la conduite et direction d'Alexandre Vernay, son mari ».

On y produit un papier bleuté avec une grappe de raisin en filigrane et la mention : A. Vernay, Villeneuve sur Vanne.

Ce papier a servi de support à l'une des premières impressions lithographiques en France. En effet le procédé lithographique, inventé à Munich par Senelfeder en 1796, est introduit en France par Frédéric André en 1802 ; c'est alors qu'il vend le brevet à Mme Revillon le 10 octobre 1802 : "pour la dite dame Vernay jouir, faire et disposer en toute propriété et comme bon lui semblera de l'effet dudit brevet ".

Un atelier lithographique fonctionne à Charenton au nom de Vernay, Frédéric André a un frère éditeur de musique et compositeur, ce sont des partitions musicales qui sont imprimées à l'atelier.

L'une d'elles, « Le rondeau pour pianoforte de RIOTTE », est imprimée sur papier du moulin de Villeneuve. Elle est au département musique de la Bibliothèque Nationale sous la cote Vml2 24483. Le papier de format raisin (50 x 65 cm) montre le filigrane :

filigrane Vernay

Dans un article de la revue « Le vieux papier » du 1er juillet 1952, E. Lebeau raconte les débuts de l'imprimerie lithographique

1806

Les affaires de la papeterie périclitent, l'affaire est saisie et vendue en 1806 à Mme Villevieille, puis de nouveau sur jugement avec enchères au meunier Louis Buttet et sa femme Anne Gérard en 1811, ceux-là même qui ont fait construire le moulin d'en bas en 1798.

1819

Ils partagent leurs biens entre les deux fils Auguste Louis au moulin d'en haut. Bazile au moulin d'en bas.

1843

Le moulin d'en bas est acheté par Edouard Antoine Humbert qui le loue aux époux Vieublé. Mais le moulin va pratiquement cesser son activité par suite de modifications dans le cours de la rivière pour l'usage du moulin de Molinons, qui ne permettent plus le débit nécessaire. Un mémoire Chardon-Bézinne en détaille les raisons.

1851

Monsieur Chardon achète les moulins.

1874

Peu après la guerre, en 1874, la Ville de Paris, voulant faire des travaux au sujet de la captation des eaux de la Vanne, achète tous les moulins situes sur cette rivière. Elle ne garde que ceux qui peuvent lui servir pour la conduite de ses eaux et revend les autres.

Dans l'acte de vente initial, il a été convenu que cette faculté de rachat n'aura lieu qu'au cas où les deux parties s'entendent à l'amiable : au cas contraire, la Ville de Paris n'entend pas s'obliger à revendre les moulins aux anciens propriétaires.

A ce moment, c'est M. Chardon qui les possède. Il fait à cette époque de grandes réparations et embellissements aux moulins. Mais le prix qu'il en demande en est alors très élevé. La Ville de Paris en refuse lachat amiable et fait procéder à l'expropriation.

L'acte de vente du 4 octobre 1875 comprend :

  • Le grand moulin à 4 paires de meules à l'anglaise
  • Le moulin au sud à 4 paires de meules à l'anglaise
  • Le moulin d'en bas à 2 paires de meules

Quand la Ville revend les moulins, c'est M. Clergé qui s'en rend acquéreur (Carillons de la Vanne - 1939 - Mme Ballot)

La ville de Paris, par le captage de 100 000 m3 sur les sources de la Vanne, rend nécessaire un appoint d'énergie à la vapeur; la grande cheminée détruite en 1958 augmente la puissance des roues à aubes. 

1926

La veuve de M. Clergé, Camille Lécorché, épouse M. St Alary. Les moulins continuent à moudre ; ils s'arrêteront définitivement en 1930.

1930

M. St Alary installe une fabrique de glace au moulin.

1946

Il y ajoute le commerce de la bière et eaux minérales, en parallèle avec sa brasserie de Sens.

1950

Il fait fabriquer au moulin par M. Gambrelle, tables et chaises en tubes métalliques pour les terrasses de café. Puis l'atelier part à Sens.

1956

Le moulin est vendu à M. Miquel qui y mène de longs travaux de restauration, puis y installe sa fille en 1959.

Claudine et Gilbert Sicard montent un élevage en 1960 qui alimente des spécialités, appréciées bientôt sur la table de la pension de famille pour personnes âgées et leurs visiteurs, ouverte en mai 1966. Une licence permet ensuite d'accueillir les touristes de passage avec une cuisine familiale.

En 1967 ils prennent un chef et « l'auberge des moulins banaux » devient l'établissement renommé que l'on sait.

oies

1991

Des travaux de voirie, à la suite d'une fissure sous la route à côté du pont, ont permis de voir le soubassement de la terrasse des vieux moulins. Il était constitué d'un grand nombre de pieux de bois, très rapprochés et reliés les uns aux autres, travail datant de plusieurs siècles.

Pieux

1994

Les ruines du moulin d'en bas se transforment en maison d'habitation, conçue par Claudine Sicard. C'est le dernier acte de la restauration de ces vénérables moulins.

Cette chronique  des moulins a été transcrite par des Villeneuviens sous la houlette de Marie-Odile Gaumont
Voir aussi le Moulin de la Pique