| La
Terre et Seigneurie de Mauny le Repos à BagneauxSaint Louis
et la Couronne d'ÉpinesAbbé Jacques LEVISTE Tiré-à-part
du Bulletin n° 31 (1989) de la Société Archéologique de Sens  Maulny
par le peintre André Despois
Mauny-le-Repos
n'est plus aujourd'hui qu'un simple lieudit sur le territoire de Bagneaux (1)
, aux portes de Villeneuve-L'Archevêque et aux confins du Sénonais et de la
Champagne. Il ne reste rien de l'antique manoir où, le 10 août
1239, le roi Louis IX accueillit l'imposant cortège qui lui apportait la
Couronne d'épines achetée à la république de Venise. C'est
à peine si l'il averti discerne dans la monotonie des terres cultivées
de timides vallonnements et de maigres pierrailles qui, seuls, situent aujourd'hui
ce haut lieu disparu. Ce témoin précieux du passé avait
pourtant réussi à traverser les siècles sans trop de dommages
et, quand les journalistes du XIXe siècle voulurent rappeler le souvenir
du passage de saint Louis, au sixième centenaire de l'événement,
ils purent encore souligner l'intérêt que présentait le château
de Mauny-le-Repos. Hélas ! En février 1867, un incendie que
les rigueurs de la saison ne permirent pas de combattre, allait sonner le glas
du vieux manoir que ses propriétaires préférèrent
raser complètement plutôt que d'engager de lourds frais de restauration.
C'est à peine si les journaux de l'époque relatèrent l'événement. Les
matériaux utilisables furent récupérés pour agrandir
la ferme de la Métairie à Bagneaux, et les éboulis servirent
à combler mare et fossés. Bientôt la charrue put tracer ses
sillons. Une butte plantée de vieux ormes rappela longtemps le souvenir
du manoir, mais elle ne trouva pas grâce devant les engins modernes du remembrement
qui l'aplanirent totalement. Les travaux de réalisation de l'autoroute
A5 (1991) vont modifier totalement ce site.. Situation géographique du
domaine de Mauny.Le domaine de Mauny se trouvait situé très
exactement au milieu du triangle que forment aujourd'hui les routes de Villeneuve-L'Archevêque
au hameau de Râteau, de Bagneaux à ce hameau, la nationale de Sens
à Troyes, entre Villeneuve et Bagneaux, faisant la base de ce triangle.
Le lieudit situé en bordure de la nationale se nomme toujours " les
vignes de Mauny ", celui qui lui fait suite s'appelle " la ferme de
Mauny ", à l'emplacement du manoir, et il est prolongé par
une longue pointe de terres dite " La Garenne " où se situaient
autrefois le parc et la garenne du château. Cette pointe
en triangle, bordée aujourd'hui de petites pièces de bois au nord,
formait l'extrémité du domaine. Le plan de 1671 nous en donne un
relevé très fidèle (2). 
A
l'heure actuelle un pylône de la ligne à haute tension se dresse
à l'emplacement du château ; on a regroupé à ses pieds
quelques blocs de grès, arrachés au sol par les engins modernes
de culture ; un buisson d'épines les signale. Le remembrement, voici
une trentaine d'années, a fait disparaître les chemins qui se croisaient
aux abords du manoir et le mettaient en communication avec les localités
voisines. L'ancienne voie romaine de Troyes à Sens passait entre la nationale
et le manoir ; elle fait encore une légère bosse sur le terrain. Le
prieuré bénédictin de Bagneaux.Avant de relater le
passé de Mauny il est indispensable d'évoquer celui de Bagneaux,
le domaine de Mauny n'étant qu'une petite seigneurie sur le territoire
de cette localité. A la fin de l'époque carolingienne, longtemps
avant la fondation de Villeneuve-L'Archevêque, Bagneaux était déjà
une des rares paroisses de la vallée de la Vanne, au diocèse de
Sens. Le Sacramentaire de la Bibliothèque de Stockholm utilisé
aux IXe et Xe siècles par les archevêques de Sens, mentionne en effet
cette paroisse sous le nom de Bagnent avec celles de Cérilly et Cerisiers
comme étant les plus proches : c'est-à-dire que plusieurs villages
voisins dépendaient alors de la paroisse de Bagneaux. A
une époque inconnue, sans doute dans la première moitié du
XIIe siècle, la paroisse de Bagneaux fut concédée à
l'abbaye bénédictine de Saint-Germain-des-Prés à Paris,
et cette donation fut confirmée par le pape Alexandre III en 1177 (3)
Nous ne connaissons pas les circonstances de l'installation des moines parisiens
à Bagneaux, les cartulaires n'en faisant pas mention. Par contre nous savons
qu'à une époque antérieure les moines cisterciens de Molème
avaient été mis en possession d'un alleu (3bis)
important sur des terres, prés, bois, vignes, hommes serfs et libres de
Bagneaux par la donation d'un certain Herbert, fils de Garnier, de Joigny. Fromond
Farsit et son épouse Elisende, successeurs d'Herbert, confirmèrent
cette donation en 1160, comme l'indique une charte de l'archevêque Hugues
de Toucy, au cartulaire de Molème (4). Cette donation
devait être importante puisqu'elle avait eu comme témoins tous les
dignitaires de l'Eglise de Sens, bénéficiaires il est vrai d'une
part de cette libéralité et, avec eux, plusieurs laïcs dont
Bouchard, fils du vicomte de Sens, et Narjot de Cérilly. Dans la suite
les moines de Molème n'apparaissent plus, et c'est la prestigieuse abbaye
de Saint-Germain-des-Prés qui installa son prieuré tout en laissant
une part des dîmes au monastère de Vauluisant. Cette présence
des moines parisiens durera jusqu'à la Révolution qui fera vendre
leur patrimoine avec les biens nationaux. La petite église de Bagneaux,
reconstruite en 1776 par l'architecte Buron, rappelle par ses titulaires et patrons,
Saint-Germain et Saint-Vincent, les origines mérovingiennes de l'abbaye
parisienne. En 558, l'évêque Germain de Paris et le roi Childebert
consacrèrent une église pour accueillir la tunique de saint Vincent,
prise par le roi à Saragosse. Le vocable de cette église changea
avec la création du monastère dédié à l'illustre
évêque parisien saint Germain, et installé dans la vaste prairie
qui, en ce temps, bordait ce côté de la Seine d'où son nom
de Saint-Germain-des-Prés. Cette abbaye avait adopté, en 1024, la
règle de Cluny et acceptera en 1631 la réforme des Mauristes. Elle
dépendait directement du pape et jouissait de revenus considérables
tant à Paris qu'en province, ce qui faisait de son abbé un personnage
puissant qui n'hésitait pas à résister à l'autorité
de l'archevêque de Sens et de l'évêque de Paris, comme on le
verra dans la suite (5) Nous aimerions
connaître les raisons qui permirent la création du Prieuré
de Bagneaux sans doute durant la première moitié du XIIe siècle.
L'idée exposée en 1938 dans une communication à la Société
Archéologique de Sens par l'abbé Pissier (6) nous
semble assez séduisante. A la suite de la guerre cruelle que s'étaient
livrée le roi Louis VII et le comte Thibault de Champagne de 1141 à
1143 et qui avait nécessité une demande de pardon au pape par l'entremise
de saint Bernard et de Pierre-le-Vénérable, abbé de Cluny,
on avait essayé de créer entre les terres des deux antagonistes
une " frontière sacrée " formée par une suite presque
ininterrompue de monastères et de prieurés. Ces fondations avaient
été faites par les deux adversaires ou par leurs vassaux. Ne voyons-nous
pas Narjot de Cérilly, vassal du comte de Champagne, participer à
la fondation de l'abbaye de Preuilly, près de Provins ? En se rapprochant
de la Vanne on trouvait le prieuré de Saint-Loup-de-Naud, dépendant
de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, l'abbaye du Paraclet près de Nogent,
celle de la Pommeraie sur l'Oreuse, fondée vers 1151 par la comtesse de
Blois, épouse de Thibault II de Champagne. Mais le plus bel exemple de
ces créations demeure encore l'abbaye de Vauluisant dont l'église,
consacrée en 1143, fut construite aux frais de Louis VII et du comte Thibault-le-Grand.
Les biens de ce monastère s'étendaient de part et d'autre de la
Vanne et s'en allaient toucher les terres de l'abbaye de Dilo, en forêt
d'Othe, dotée aussi par le roi Louis-le-Jeune et par le comte de Champagne
et ses vassaux en 1150. Les moines de Vauluisant possédaient des
biens à Villeneuve-l'Archevêque et leur terre de Cérilly se
trouvait de l'autre côté de la Vanne. Restait sur le bord de la rivière
et de chaque côté de la route reliant le Sénonais et la Champagne,
à un point clé de la frontière, dans une situation géographique
privilégiée, le territoire de Bagneaux. C'est là que fut
installé le prieuré de l'importante abbaye bénédictine
parisienne et on peut penser que le roi Louis VII usa de son influence pour sa
création. Rappelons encore que le prieuré voisin de Notre-Dame de
Villeneuve dépendait alors de l'abbaye sénonaise de Saint-Jean. Il
faut savoir qu'en approuvant les donations et les fondations de ces établissements
religieux, les papes prenaient leurs biens sous leur protection et intervenaient
pour leur en garantir la paisible jouissance. C'est ce qui valut à cette
région une longue période de paix qu'allait interrompre malheureusement
la guerre de Cent Ans. L'abbé de Saint-Germain-des-Prés
envoyait à Bagneaux un groupe de moines qui suivaient au prieuré
la vie monastique bénédictine, tout en laissant la responsabilité
de la paroisse à un prêtre de son choix qui recevait de l'archevêque
de Sens ses pouvoirs canoniques. C'est ainsi qu'en 1186, Guy de Noyers, sur la
présentation de Foulques, abbé de Saint-Germain-des-Prés,
confère au prêtre Eudes la cure de Bagneaux sous réserve d'une
rente annuelle de 60 sous pruvinois à payer à Anseau de Thorigny
(7). En 1192 nous retrouvons ce prêtre
Eudes, curé de Bagneaux, témoin d'un accord passé devant
le même archevêque et l'abbé Foulques, accompagné de
trois moines : Hugues, Jean et Robert. Avec eux comparaissaient Guibert, doyen
de la Rivière de Vanne, Bertrand, curé de Vulaines, Regnaud de Villemaur
et Hilduin de Trainel. Par cet acte, rédigé en l'église Notre-Dame
de Villeneuve et scellé du sceau de l'archevêque de Sens, l'avoué
de Bagneaux renonçait, moyennant une rente annuelle de 60 sous pruvinois,
aux droits de procuration pour vingt hommes qu'il percevait chaque année
sur les habitants de Bagneaux (8). Les relations entre
l'archevêque de Sens et le prieuré connurent une période de
vive tension causée par les exigences exorbitantes de Guy de Noyers qui
ne tenait aucun compte des sages recommandations faites par saint Bernard à
son prédécesseur, Henri Sanglier, sur les devoirs des évêques.
Les droits de visite et de procuration exercés par l'archevêque étaient
une charge onéreuse et provoquaient de nombreuses contestations. C'est
ainsi que l'abbé de Saint-Germain-des-Prés se plaignit, en 1181,
au pape, de ce que Guy de Noyers exigeait des droits trop élevés
à Bagneaux. Reconnaissant le bien fondé de cette requête,
le pape Alexandre III défendit à l'archevêque de Sens d'exiger
désormais de l'abbaye la procuration comme un dû et lui déclara
qu'il était injuste de sa part de conduire quarante chevaux et soixante
dix personnes dans la paroisse pour les faire héberger aux dépens
de l'église. Il autorisa les religieux à opposer un refus à
l'archevêque s'il prétendait leur imposer l'entretien d'un nombre
de chevaux et d'hommes supérieur à celui qui était convenu
(9). Guy de Noyers ne voulut pas se soumettre aux injonctions
du pape et il fallut l'influence du roi Philippe Auguste pour le faire céder.
Par un accord, passé au château
de Fontainebleau avec l'abbé de Saint-Germain-des-Prés et en présence
du souverain, en 1191, il abandonnait le droit de procuration sur Bagneaux et
deux autres paroisses du diocèse, moyennant un cens de 8 livres parisis
payable chaque année à Esmans dans l'octave de Pâques, et
avec la possibilité de se rendre une fois Fan à Bagneaux et d'y
séjourner une nuit sans pouvoir réclamer autre chose que le logement
(10). Le doyen de la cathédrale Salon et le chapitre
confirmèrent cet accord à Sens la même année (11). Le
revenu du prieuré de Bagneaux était estimé 1200 livres à
la fin du XVIIIe siècle. La demeure des religieux est parfois désignée,
au long de l'histoire, sous le nom "d'hôtel" (1624) ou de "maison
seigneuriale" (1671). On constate qu'au XVIIIe siècle il n'y avait
plus à Bagneaux que des régisseurs et des officiers de justice pour
représenter l'abbaye parisienne. Au baptême de la cloche de
Bagneaux, le 8 août 1786, l'abbaye était représentée
par Dom Claude Dubuisson, prieur de Sainte-Colombe à Sens, parrain, à
la place de Dom Nicolas Faverolle, grand prieur de Saint-Germain-des-Prés.
Seul Henri Marie Villiers, receveur du prieuré, était présent. 
La
Seigneurie de Mauny.Après cette présentation indispensable
du prieuré de Bagneaux nous pouvons nous acheminer vers le domaine de Mauny
qu'un acte de 1362 désignera, pour la première fois, sous le nom
de Mauny-le-Repos. Quand Mauny apparait dans l'histoire, au milieu du XIe
siècle, c'est d'abord comme le patronyme d'une famille qui détient
la terre. Il s'agit alors d'un domaine, " villa " dans les cartulaires
latins, et l'existence d'un manoir féodal n'est pas mentionnée.
Ce domaine peut être appelé à s'étendre puisqu'on envisage,
en 1185, l'éventualité d'une future paroisse. La présence
humaine en cet endroit est peut-être très ancienne. En en faisant
un fief qui relèvera de l'abbaye, les moines ont pu chercher par là
une sécurité pour leur prieuré. Le château, de dimensions
modestes, mais conçu pour la défense, peut interdire ou surveiller
le passage de la grande route de Champagne. C'est sans doute vers la fin
du XIIe siècle que fut construit le château de Mauny constitué
d'abord d'une sorte de donjon carré auquel on accola, plus tard, un logis
sur une cour fermée et défendue par des tours d'angles rondes. Essayons
d'en brosser une description autant que son iconographie le permet. Nous pourrions
fort bien ne rien connaître de cet édifice, détruit en 1867,
en dehors de son plan cadastral conservé à la mairie de Bagneaux,
et réalisé en 1834. Nous avons la chance de posséder deux
petites peintures du milieu du XIXe siècle, l'une réalisée
peu de temps avant l'incendie et déjà bien connue puisque reproduite
dès 1939, dans l'ouvrage La Couronne d'épines au royaume de Saint
Louis. La seconde a été faite durant l'été 1867,
quelques mois après l'incendie et durant la démolition du manoir,
mais elle nous semble assez fantaisiste. Le plan cadastral, dressé
en 1671 à la demande de Saint-Germain-des-Prés et finement réalisé
par le frère Hilarion Chaland, nous donne une idée de ce qu'était
la seigneurie de Mauny et la disposition du château à cette époque.
Il nous révèle l'emplacement de la chapelle, l'organisation des
vergers et jardins autour des bâtiments sur un terre-plein entouré
de haies vives et d'une enceinte de fossés. Les frontières du domaine
étaient alors soigneusement délimitées par une ligne de bornes
disparues aujourd'hui. Une longue allée bordée d'arbres s'en allait
vers le nord jusqu'à la garenne qu'elle traversait. Une portion de prairie,
située en bordure de la Vanne, relevait de Mauny avec le moulin de Maupas.
Les abords du château étaient assez boisés et dominés
par la haute tour carrée. La feuille sénonaise
intitulée Journal de Sens, dans son numéro du 13 août
1836, rappelait le passage de Saint Louis, le 10 août 1239, et sa venue
à Mauny. L'auteur de l'article notait : " Ce manoir, massif de grès
et de briques rougeâtres, flanqué de tourelles à meurtrières
et bâti dans le style des premiers siècles, se voit encore tel qu'il
était alors " (12). Quelques
années plus tard, dans l' Annuaire de l'Yonne de 1843, Victor Petit,
dans sa visite des environs de Villeneuve-l'Archevêque, écrivait
: " Maulny-le-Repos, vieux château, aujourd'hui ferme, à 2 kilomètres
de Villeneuve, sur la gauche. Une tour carrée, flanquée d'une petite
tourelle, offre un aspect pittoresque ; on domine de là une grande partie
de la route que le voyageur vient de parcourir " (13). Le
témoignage du savant archiviste de l'Yonne, Maximilien Quantin, nous apporte
un supplément de précisions : " Maulny-le-Repos est un manoir converti en ferme,
qui a conservé trois de ses tours; avec quelques créneaux " écrit-il, et ailleurs
: " Maulny est un château-fort converti en ferme " (14). Dans
ses Echos de l'Yonne (Sens, Duchemin, 1871), Isidore Gatouillat pouvait
encore noter : "... Ce château a été converti en ferme.
Il n'y a pas plus de deux ans qu'une tour carrée, flanquée de deux
tourelles, y existait encore ; elle offrait un bel aspect. Mais aujourd'hui, de
même que la plupart des vieilles habitations, Maulny-le-Repos a totalement
disparu. " Un dessin de la même époque, retrouvé
récemment, dans le genre de ceux qu'exécuta Victor Petit, représente
la façade intérieure du château de Mauny. Là aussi
il semble que l'artiste ait laissé libre cours à son imagination
puisque des divergences existent avec la peinture traditionnelle. Nous retrouvons
bien la tour carrée, mais ici cet ancien donjon qui dominait l'horizon
manque singulièrement de hauteur ; de plus il a perdu sa svelte tourelle
accolée à sa face ouest. La toiture en pavillon n'a pas la même
orientation que sur la peinture. En revanche, une belle tourelle d'escalier se
dresse harmonieusement au milieu de la façade du manoir avec ses petites
ouvertures éclairant la vis de l'escalier. Un perron permet d'en gagner
la porte en même temps que l'entrée du rez-de-chaussée du
logis. Une large porte s'ouvre sur la face de la tour carrée. Peut-être
avait-on aménagé le rez-de-chaussée en dépendance
à usage agricole ? N'y cherchons pas une entrée de porte cochère
puisque rien de semblable n'apparait sur la façade extérieure. La
porte cochère était à côté de la tour.
Mauny
n'était pas un manoir de plaisance, ni même un de ces édifices
munis de quelques fortifications, comme on en a tant construit au lendemain de
la Guerre de Cent Ans alors qu'on redoutait toujours des incursions ennemies.
Comme le dit précisément l'archiviste Quantin, qui l'a encore vu
et pouvait porter sur lui un jugement autorisé, Mauny était dès
le Moyen Age un château-fort, avec au moins deux enceintes de fossés,
dominé par sa haute tour carrée qui reçut plus tard une toiture
aiguë en pavillon. Cette tour pouvait avoir au moins trois niveaux desservis
par un escalier à vis logé dans la tourelle d'angle, couverte en
poivrière et qui s'élevait à partir du premier étage.
Il y avait peu d'ouvertures sur l'extérieur, sinon des meurtrières.
Une haute cheminée de brique se dressait, puissante, sur le bord de la
toiture opposé à la tour d'angle. Un grand portail s'ouvrait sur
la cour, vers le couchant, dans la direction de Villeneuve. Des communs cernaient
cette cour, défendue par des tours rondes à chaque angle ; on croit
les distinguer sur l'ébauche du dessin du château de 1671. Un acte
de partage de 1549 mentionne les avant-fossés délimitant le terre-plein
du manoir. La chapelle de Mauny.Nous connaissons
avec précision l'époque et les circonstances de la construction
de la chapelle de Mauny. Elle fait l'objet d'une charte particulière dans
le cartulaire de Saint-Germain-des-Prés, reproduite dans le Cartulaire
Général de l'Yonne (15). Bien que le
document lui-même ne soit pas daté, Dom Bouillard, dans son histoire
de l'abbaye, et Max Quantin dans le Cartulaire, en situent la rédaction
en 1185. C'était, de toute façon, sous l'épiscopat de Guy
de Noyers qui gouverna l'Église de Sens de 1176 à 1193. Itier
de Mauny sollicita de son cousin, l'archevêque de Sens, l'autorisation de
construire une chapelle dans son domaine de Mauny. Voici la réponse
du prélat, traduite du latin : Guy, par la grâce de Dieu
archevêque de Sens, à tous ceux auxquels le présent document
parviendra, salut dans le Seigneur. Nous voulons faire connaître
à vous tous que nous, répondant aux sollicitations de notre cher
fils Itier de Mauny, notre cousin, avons donné notre accord pour qu' 'une
chapelle soit construite dans le dit domaine [villa] de Mauny, situé sur
la paroisse de Bagneaux et qu' 'il puisse lui-même et les hommes de son
domaine y entendre le service divin les dimanches et jours ordinaires. Aux principales
fêtes, ils viendront à l'église mère de Bagneaux. . Il
est convenu en outre qu'aucun prêtre ne desservira ladite chapelle si ce
n 'est le titulaire de l'église de Bagneaux. De même qu'on ne fera
en ce lieu ni cimetière, ni fonts, ni baptistère, ni sépulture
de défunts, mais seulement en l'église mère. Si pourtant
le domaine de Mauny devait s'accroître au point de réclamer une église
paroissiale, aucun prêtre n 'y serait nommé si ce n 'est sur la présentation
de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, et les moines de Bagneaux jouiraient
de la même portion de droit et de coutume sur tous les bénéfices
comme ils en jouissent à l'église de Bagneaux. Pour que cet accord
soit ratifié et confirmé, nous avons fait apposer notre sceau sur
le présent acte (16). La chapelle fut effectivement
construite ; elle est mentionnée dans un acte de 1549 et figure sur le
plan de 1671 et sur celui du XVIIIe siècle. Nous voyons sur ces deux documents
qu'elle possédait un petit clocher, et que trois petites fenêtres
l'éclairaient sur ses murs latéraux. C'est tout ce que nous savons
! Cette chapelle ne figure sur aucun procès-verbal de visites de paroisses
et nous n'avons trouvé aucun autre document la concernant. Elle n'existait
plus au XIXe siècle et fut sans doute abandonnée, dès le
milieu du XVIIIe, quand les seigneurs cessèrent d'habiter Mauny, devenu
une simple ferme, dans le patrimoine des comtes de Trainel. Contrairement
aux conditions formulées lors de sa fondation, qui interdisaient les sépultures,
il semble bien qu'elle ait servi à l'inhumation de seigneurs de Mauny dans
le courant du XIVe ou du XVe siècle, à une époque où
la coutume d'inhumer dans les édifices religieux était devenue générale.
Le petit musée du domaine de Vauluisant conserve une belle pierre tombale
aux inscriptions usées représentant deux personnages. Les mains,
les visages et les emplacements des armoiries ont été creusés
pour être exécutés plus finement en incrustations de marbre,
malheureusement disparues. Cette dalle fut apportée de Mauny à Bagneaux
pour servir de seuil à la maison d'habitation de la métairie construite
avec les pierres du château. Durant cinquante années elle s'usa sous
les pas des fermiers. C'est là que le chanoine Chartraine l'a vue sans
pouvoir en lire l'inscription avant que Madame Javal ne l'acquière vers
1913, pour enrichir son musée, croyant à tort qu'elle provenait
de l'église abbatiale de Vauluisant. Cette dalle est très mal placée
dans le sous-sol du petit musée et nous n'avons pu en exécuter une
reproduction. Elle dut recouvrir, à notre avis, les sépultures
des d'Averly, seigneurs de Mauny au XVe siècle. Les premiers détenteurs
de Mauny sont inhumés en l'église de Bagneaux, sous une dalle datée
de 1209, et la dernière dame de Mauny le fut, au XVIIe siècle, sous
une belle lame de marbre noir qui sert aujourd'hui de marche au maître-autel. On
peut penser que Saint Louis est venu prier dans la chapelle de Mauny le 10 août
1239. Peut-être est-ce en ce lieu que se fit l'ouverture du coffret contenant
la Couronne d'épines. 
Notes1. Bagneaux, canton
de Villeneuve-L'Archevêque, à la limite de l'Aube et de l'Yonne. 2.
" Plan de la terre et seigneurie de Bagneaux, dressé en 1671 par le frère Hilarion
Chaland, moine de Saint-Germain-des-Prés ", Archives nationales, NII, Yonne 9 3.
Sur Bagneaux, voir dom Cottineau, Répertoire des abbayes et prieurés, Maçon,
Imprimerie Protat, 1939, volume I. 3bis.
Alleu : héritage libre de tous devoirs féodaux, y compris de droits de mutation
appelés lods (Wikipedia) 4. Max Quantin,
Cartulaire de l'Yonne, 1860, tome II, pièce CVIII. 5.
Jacques Hillairet. Connaissance du Vieux Paris, 1959. 6.
Abbé Pissier, " Les frontières de l'Ile de France ", B.S.A.S., 1938, tome XL. 7.
René Poupardin, Cartulaire de Saint-Germain-des-Prés, Paris, Champion, 1930,
in-8°, tome II, p. 14. 8. Cartulaire de
Saint-Germain-des-Prés, tome II. p. 43. Original scellé, L. 765, n° 8. Collection
des Sceaux par Drouet d'Arcq. n° 6387. 9.
D. Bouillant, Histoire de Saint-Germain-des-Prés, Preuves 47 et 48. Cartulaire
de Saint-Germain-des-Prés. 10. Quantin,
Cartulaire Général de l'Yonne, tome II, p. 133. 11.
Cartulaire de Saint-Germain-des-Prés, tome II, p. 37. 12.
Journal de Sens, 13 août 1836, p. 170. 13.
Annuaire de l'Yonne, 1843, p. 152. 14.
Répertoires archéologiques et topographiques de l'Yonne, Paris, 1867 et 1868. 15.
D. Bouillard. Histoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Preuves p. 50 ;
Cartulaire Général de l'Yonne, " -Pièce CCCL, 1185. 16.
Original aux Archives nationales, Bagneaux, L 765, n° 5. Deux pièces attachées,
l'une avec le sceau restauré de Guy de Noyers, représentant un profil d'évêque.
Deux copies du XVIe siècle, LL 1056 et LL 1057.
Abbé
Jacques LEVISTE Extrait Tiré-à-part du Bulletin n° 31 (1989) de la Société
Archéologique de Sens Document disponible à la Société Archéologique
de Sens
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