Extraits du bulletin APVV N° 11 de
décembre 2011....
Une organisation structurée
(1942-1944).
Dès le début de 1942, une organisation d’envergure se met en place sur
« le Plateau protestant » (communes de Fay-sur-Lignon, Le Mazet St Voy,
Le Chambon-sur-Lignon) pour venir en aide aux plus menacés par les lois
raciales (Juifs). Après l’obligation du port de l’étoile jaune (juin
1942) et la rafle du Vel’ d’Hiv’ (juillet 1942), la majorité des Juifs
vivant en zone occupée se sent vraiment menacée. Ils décident alors
d’entrer dans la clandestinité et cherchent des points de chute. Ils
ont entendu parler du Chambon qui réunit un certain nombre de facteurs
positifs : l’esprit de la population, les possibilités d’accueil
(maisons et homes d’enfants, pensions de famille, locations à la
campagne), un chef emblématique, le pasteur Trocmé, des infrastructures
scolaires : cours complémentaires et surtout le collège Cévenol où on
peut poursuivre des études secondaires. Les réfugiés arrivent donc de
toutes parts, de plus en plus nombreux. Devant l’afflux de tous ces
gens, à l’initiative du pasteur Trocmé, secondé par une équipe
compétente et motivée, on s’organise dans la plus grande clandestinité.
Cette mise en place s’effectue grâce à un système de réseaux qui
s’étendent sur des centaines de kilomètres et dont Le Chambon est le
point central.
Le
premier réseau voit son action limitée à l’enclave chambonnaise.
Il est essentiellement pastoral, c’est-à-dire que chaque territoire où
ce réseau est impliqué, est placé sous la responsabilité d’un pasteur
chargé de recevoir les réfugiés et de les diriger vers des familles
accueillantes. C’est ainsi que le pasteur d’une petite paroisse de la
Haute Ardèche a hébergé durant l’Occupation le grand rabbin de France.
André Chouraqui qui sera connu plus tard comme écrivain et
maire-adjoint de Jérusalem, est reçu dans les mêmes conditions dans un
hameau du Chambon. A titre anecdotique, je signale le cas de Sarah
Oettly, refugiée dès 1940, au hameau de Panelier près du Chambon, qui a
ouvert là une pension de famille où Albert Camus séjournera .
La petite gare de Chambon-Mazet
qui a connu tant de détresses
Les pourchassés qui arrivent
généralement par le petit train, sont attendus à la modeste gare du
Chambon-Mazet par une personne qui les oriente vers leur lieu
d’accueil. Pour des raisons de sécurité et de discrétion, ils forment
des groupes de 5 à 6 personnes maximum. Les plus aguerris s’acheminent
directement vers leur point de chute, en respectant strictement les
consignes reçues. Les autres gagnent en général le presbytère
protestant où ils sont hébergés pour quelques heures, rarement une
nuit, car la maison est surveillée. S’il y a des enfants, ils
rejoignent, sous la conduite de l’accueillant, le home qui les attend.
Mais ces opérations, pour être
efficaces, doivent être complétées par l’attribution de faux papiers, «
armes premières » de la clandestinité. Sans la fausse carte d’identité,
le faux permis de circuler, la fausse carte d’alimentation, rien ne
peut être sérieusement entrepris.
C’est un jeune étudiant en
médecine, fils de Juifs, d’origine lettonne, né à Berlin, qui organise
ce service. Il s’est initié à la fabrication de faux papiers à son
arrivée en France lors d’un stage de mécanographe chez un artisan à
Nice. En 1942, accueilli dans une ferme isolée, il va avec un camarade,
mener à bien cette activité. Les deux garçons, quand ils n’utilisent
pas leur matériel, le cachent dans une des 14 ruches de leur hôte. A
eux deux, on pense qu’ils ont fabriqué plus de 6000 fausses cartes, ce
qui donne une idée du nombre de personnes protégées.
Bien entendu, il faut aussi se
procurer des fonds et c’est le pasteur André Trocmé qui, par ses
contacts avec les Quakers américains installés à Marseille, trouve les
aides financières nécessaires. C’est encore le pasteur Trocmé qui se
met en rapport avec le Secours Suisse aux enfants victimes de la guerre
et le Service Civil Suisse pour récolter les fonds alloués, rapportés
de Suisse par Charles Guillon, d’origine helvète, ancien maire du
Chambon.
Couple de solides et courageux paysans dont la ferme servait
d'atelier de fabrication de faux-papiers
S’associent également à cet
effort financier la CIMADE (Inter Mouvements d’Aide aux Evacués), le
Mouvement de Réconciliation, l’OSE juive américaine (Organisation de
Secours aux Enfants).
Le
deuxième réseau dans lequel Le Chambon est impliqué a une
activité moins importante que le premier qui assure l’essentiel du
sauvetage. Au centre du dispositif, la CIMADE et sa dévouée secrétaire
générale, Madeleine Barot qui se penche sur le sort des enfants
internés avec leurs parents dans le camp de Gurs dès 1939. Aux «
indésirables » déjà en place viennent s’ajouter, au printemps 1940, la
totalité de la population juive du Bade-Wurtemberg, du Palatinat soit
environ 7500 personnes. Dans le camp surpeuplé où on s’entasse à plus
de 180 personnes par baraque, les conditions d’hygiène sont
épouvantables et la nourriture très insuffisante. Madeleine Barot
s’inquiète plus particulièrement du sort des enfants, voués à plus ou
moins longue échéance à la déportation et son objectif principal est de
les faire sortir de ce « cloaque ». En 1941, on peut encore obtenir des
autorisations de sorties et beaucoup d’enfants sont ainsi sauvés. Mais
en 1942, la situation se durcit. Alors Madeleine Barot décide d’entrer
clandestinement dans le camp. Là, elle noue des contacts avec les
chrétiens et les rabbins. Avec l’aide de l’OSE et de la CIMADE, elle
obtient l’autorisation de créer des centres d’accueil. Son choix se
fixe sur le Chambon où elle sait que les autorités locales et une
population compréhensive leur apporteront leur aide. Financièrement,
grâce aux fonds fournis par les églises protestantes de Suède, elle
loue au Chambon un ancien hôtel où elle réussit à loger une partie des
enfants, les autres étant accueillis dans des pensions de famille ou
dans des fermes du Plateau en attendant un passage éventuel vers la
Suisse. C’est ainsi que plus d’une centaine d’enfants, juifs pour la
plupart, échappent à une mort certaine.
A propos du camp de Gurs, je
garde un souvenir encore bien présent dans ma mémoire. Fin 1941, deux
adolescentes étrangères intègrent notre classe. Originaires de Hambourg
où leurs parents étaient diamantaires, elles sont juives. Leurs noms :
Lily Braun et Hanne Hirsch. Bénéficiant des dernières autorisations de
sortie, elles arrivent de Gurs où elles ont laissé leurs parents
qu’elles n’ont sans doute jamais revus. Elles logent chez « Tante Soly
», une pension de famille spécialisée dans l’accueil des enfants juifs.
Après avoir traversé tant d’épreuves, elles sont apeurées, désorientées
comme on peut l’être à 15 ans. Elles parlent assez bien notre langue
mais ne font pas de confidences, ni sur leur vie antérieure qui a dû
être confortable, ni sur leur séjour au camp. Elles ne restent que
quelques mois au Chambon et sont rapidement prises en charge par la
Croix Rouge Suisse qui organise leur évasion vers la Suisse. Nous
n’avons jamais eu de leurs nouvelles mais il m’arrive encore de penser
à elles et à leur destin tragique.
Un
troisième réseau se met en place au Chambon, sensiblement à la
même époque. Il est destiné à faire passer en Suisse les réfugiés qui
le désirent et qui sont de plus en plus nombreux. A la tête de cette
organisation, une femme admirable, Madame Philip , à qui beaucoup de
réfugiés doivent la vie. Dans ses périlleuses activités de passage,
elle fait preuve d’une audace inouïe. Madame Philip franchit de
nombreuses fois la frontière franco-suisse dans des conditions
incroyables, en particulier ce jour où elle se rend avec la complicité
des cheminots, d’Annemasse à Genève, travestie en chauffeur de
locomotive et noircie de poussière de charbon, car l’entreprise est
complexe et dangereuse : nécessité d’avoir plusieurs
convoyeurs-passeurs pour ne pas attirer l’attention, long trajet semé
d’embûches, dernière partie du parcours à effectuer à pied dans des
terrains accidentés, franchissement de la frontière strictement minuté,
toutes conditions qui, au grand regret de Madame Philip, excluent du
passage les personnes âgées contraintes de rester au Chambon ou sur le
Plateau. Dès le départ, les difficultés commencent. L’entrée en
territoire suisse est soumise à autorisation.
A gauche, mon vieux professeur d’histoire Monsieur Darcissac
« Juste parmi les nations »
en conversation avec M. Philippe Boegner.
Le pasteur Marc Boegner,
président de la Fédération Protestante de France s’en charge. Des
listes sont établies et communiquées aux autorités suisses, ce qui
implique obligatoirement la présentation des identités réelles, cousues
dans les doublures des vêtements, le temps du voyage.
A partir du Chambon, plusieurs
itinéraires sont utilisés. Le plus emprunté passe par Annecy. Le
convoyeur-passeur prend en charge seulement deux à trois réfugiés.
Première étape : Le Chambon-St Etienne par le petit train ; deuxième
étape : St Etienne-Lyon avec un transporteur sûr, par la route ;
troisième étape : Lyon-Annecy par train de nuit (moins de contrôles).
Accueil à Annecy par l’abbé Folliet, aumônier de la J.O.C. (Jeunesse
Ouvrière Catholique) qui se joint au groupe jusqu’à
Collonge-sur-Salève. Là, l’abbé Marius Jolivet prend la relève et loge
les fugitifs dans son grenier qui a vue sur les barbelés de la
frontière suisse. Il surveille le passage des patrouilles et le moment
venu, s’élance avec ses protégés vers la liberté.
D’autres itinéraires plus
difficiles, mais plus sûrs passent également par la Haute-Savoie. L’un
par Chamonix permet le franchissement de la frontière non loin de
Martigny (Suisse) ; l’autre a son point d’appui à Douvaine, au
voisinage du Lac Léman où l’archiprêtre, Jean Rosay a transformé sa
cure en centre d’accueil pour candidats à l’évasion. On ne dira jamais
assez l’importante contribution que les prêtres catholiques ont
apportée dans le sauvetage des Juifs, ceux qui ont aidé Madame Philip
et les autres. Cette collaboration dans une période de tous les dangers
est un exemple de compréhension mutuelle, de tolérance et de fraternité
entre les trois communautés religieuses : catholique, protestante et
israélite.....
Jeanne Martel
Vous trouverez la
suite de cet article dans le N°11 de notre parution "Au Courant de la
Vanne"