Foissy-sur-Vanne

 

La commune et la dérivation des eaux de la Vanne vers Paris (1858-1871)

Pierre BELIN

Le projet de dérivation des eaux de la Vanne a été élaboré à Paris, sur l'ordre de l'Empereur Napoléon III, entre 1853 et 1865. Sa réalisation compte parmi les grands travaux du baron Georges-Eugène Haussman (1809-11891), préfet du département de la Seine de 1853 à 1870, le maître d'oeuvre en a été Eugène Belgrand (1810-1878), originaire d'Ervy-le-Châtel (Aube), ingénieur et géologue, membre de l'Académie des Sciences de Paris. De Saint-Benoist-sur-Vanne à Sens, les communes de la Vallée de la Vanne ont été concernées par ces travaux. Comment la municipalité de Foissy-sur-Vanne a-t-elle réagi face aux exigences de la Capitale?

Incidences des révolutions politiques parisiennes du XIXe Siècle sur les activités municipales de Foissy.

Le 9 Août 1830, après l'abdication de Charles X, la chambre des Députés vote la Charte rénovée: le duc d'Orléans prête serment et devient Louis-Philippe 1er, roi des Français. A la sortie de la messe du dimanche 10 octobre suivant, devant la porte de l'église, le Maire de Foissy, Jean-Edmond Marteau annonce qu'il donnera lecture de la nouvelle Charte constitutionnelle, selon l'arrêté préfectoral du 8 septembre 1830.

Les lois des 21 mars et 31 août 1831 modifient les modalités des élections municipales: les maires et adjoints sont nommés par décision préfectorale, l'ensemble du conseil municipal doit prêter serment à la Constitution.

Le 27 Septembre 1846, a eu lieu un renouvellement triennal du conseil municipal: la Préfecture de l'Yonne confirme la nomination d'Eléonore Goussé comme maire et celle de Pierre Damien, comme adjoint. Cependant, deux ans plus tard, le 3 Septembre 1848, une autre décision préfectorale destitue Eléonore Goussé et le remplace par Jean-Baptiste-Emmanuel Vajou, tandis que Pierre Damien est maintenu adjoint. Ce changement est-il une conséquence de la révolution de 1848 ? C'est possible : Eléonore Gousse avait apparemment manifesté beaucoup d'empressement à la famille Bérulle lors du baptême des nouvelles cloches de l'église Saint-Paul en 1847. La Deuxième République, proclamée le 24 février 1848, s'empresse d'abolir les titres nobiliaires le 29 février. Ces derniers ne seront rétablis qu'après le coup d'état du 2 décembre 1851 et la promulgation de la Constitution du 4 janvier 1852, qui allait devenir celle du Second Empire, le 24 janvier de la même année. Le dimanche 8 août 1852, Jean-Baptiste-Emmanuel Vajou et Pierre Damien, confirmés dans leurs fonctions respectives de Maire et d'Adjoint, prêtent serment au Prince-Président : le 2 décembre 1852, ce dernier devient Napoléon III empereur héréditaire des Français.

Commence alors en politique intérieure la période appelée "Empire Autoritaire". A Foissy, cette expression trouve une illustration immédiate: par arrêté préfectoral du 15 juin 1855, Joachim Marcellus (Marquis) de Bérulle est nommé Maire de Foissy, avant même les élections d'un nouveau Conseil Municipal. En 1848, le Maire Eléonore Goussé avait été remplacé par un autre conseiller municipal, en 1855, le Maire nommé n'appartient pas au conseil municipal....Cette mesure soulève la réprobation des habitants de la commune: " Nous voici revenus au temps des Seigneurs" murmure-t-on dans le village.

Le nouveau Maire est désormais entouré de deux Adjoints: Pierre Damien et Jean-François Fayolle. Maire, Adjoints et Conseillers ont juré "obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur" le 12 août 1855. Malgré tout l'ambiance n'y est pas.

Le marquis de Bérulle a essentiellement contribué a assainir une gestion déficitaire et à chercher des "moyens d'élever les recettes au niveau des dépenses sans avoir recours à l'impôt ni aux coupes d'arbres". En payant les dettes de la commune, s'est-il pour autant attirer des sympathies ? Le contentieux entre les habitants de Foissy et la famille Bérulle ne peut se régler à coups d'expédients.

Toujours est-il que par arrêté de M. le Préfet du 21 juillet 1858, Jean-Baptiste-Emmanuel Vajou est nommé à nouveau Maire de Foissy. A l'époque où la commune a son avis à donner sur les grands travaux de la Vallée de la Vanne.

18 Mai 1858 - Rejet du projet Vassal de dessèchement de la Vanne

Dans ce projet, il est question de dessèchement de la Vallée de la Vanne. Le procès-verbal de la réunion du conseil municipal de ce jour ne parle ni de dérivation, ni d'intervention de la Ville de Paris.

Or dans la lettre du 7 novembre 1833, le Sous-préfet de Sens posait la question : "Faut-il assécher les marais de la Commune ? ". Le conseil municipal de Foissy avait répondu "oui, mais à quelles conditions ?" L'affaire était restée sans suite.

Il n'est pas certain que le projet exposé dans la circulaire préfectorale du 21 février 1858 concerne les travaux d'Eugène Belgrand. A moins que Vassal ait envisagé le détournement de toute l'eau de la Vanne I

II est également assez curieux que les frais de dessèchement soient mis à la charge des propriétaires de terrains; la commune de Foissy possédant 55 hectares de prés, une telle opération est au-dessus de ses moyens.

Etant donné l'ambigüité de la situation, le conseil municipal a eu raison de rejeter le projet Vassal. Tout en justifiant son attitude.

30 Août 1861 - II s'agit bien de dérivation de la Vanne.

Ici, les problèmes sont clairement posés: il s'agit bien d'une adduction d'eau au profit de la Ville de Paris. Le procès-verbal de la réunion du conseil municipal de ce jour ne précise pas s'il s'agit toujours du même projet, ou bien d'un autre....

Tout en reprenant les arguments développés en 1858, les membres du conseil municipal présentent une proposition originale:

"La Ville de Paris, tout en dérivant à son profit une partie de l'eau de la Vanne, (pourrait) lui rendre au moins ce volume (d'eau) en desséchant les marais, qui ne sont autre chose que des sources qui ne trouvant pas d'issue, restent dans le terrain qui les produit et les rendent impraticables"...

7 Juin 1866- Réponse à une enquête.

Le procès-verbal ne précise pas le nom de l'organisme chargé de l'enquête : il y a tout lieu de penser qu'il s'agit de la commission présidée par Deligand, Maire de Sens, dont il sera question plus loin.

Les conseillers municipaux attirent essentiellement l'attention sur la diminution du volume des eaux de la Vanne consécutive à la dérivation. Ils craignent des conséquences pour le "ruisseau contournant le village" qui fournit l'eau aux maisons éloignées de la rivière, pour les bestiaux, mais aussi les usages domestiques.

La-Ville de Paris devrait "indemniser le préjudice que pourrait être commis à la commune" dans la diminution des récoltes des prés due au manque d'eau. Et le ruisseau devra servir les mêmes intérêts que par le passé.

Or ce ruisseau, rappelons le, parcourt les anciens fossés créés de "main d'homme" autour de l'enceinte de Foissy : c'est une très ancienne dérivation de la Vanne. Elle existait avant 1587 et un document du 24 septembre 1594 l'inclut dans les biens de la communauté d'habitants de l'époque. En 1849, Monsieur Pelée-de-Saint-Maurice est condamné pour détournement de l'eau du ruisseau qui traverse sa propriété, parce que cette eau appartient à la commune.

Rapport de la commission Deligand (13 juillet 1866).

Ce rapport a fait l'objet d'un opuscule imprimé: nous ignorons quelle a été sa diffusion dans un Second Empire devenu libéral mais non encore parlementaire.

L'intérêt de ce rapport est qu'il reprend certains des arguments avancés par la municipalité de Foissy en les exprimant au niveau de l'arrondissement de Sens. En conclusion, la commission est d'avis de refuser l'utilité publique au profit de la Ville de Paris, ainsi que les expropriations demandées. Elle affirme que l'eau de la Vanne et de toutes les sources qui l'alimentent est nécessaire "aux villes et villages qu'elle traverse". Le dessèchement de la Vanne doit être compensé par un système d'irrigation.

Mais en haut-lieu, la décision était prise. Conseillé par Belgrand, Haussmann avait fait acheter les sources des ruisseaux du bassin de la Vanne, situées sur la rive droite. Le tracé de l'aqueduc ayant été adopté en 1865, s'il le fallait Haussmann, dont la prodigalité était proverbiale, achèterait les terrains nécessaires à la réalisation du projet.

La Ville de Paris achète des terrains à la commune de Foissy.

La construction de l'aqueduc commence en 1867. Au cours de la séance du 10 novembre, le conseil municipal de Foissy discute d'un projet rédigé par Monsieur Manal au nom de la Ville de Paris: pour édifier la partie de l'aqueduc traversant la commune de Foissy, celle-ci se voit: proposer de céder une première parcelle de 33 ares 8 centiares pour la somme de 1500 francs. Malgré l'intérêt d'une telle offre, plutôt inattendue, des réserves sont faites: finalement le projet est accepté.

Deux ans plus tard, la superficie totale des terrains achetés par la Ville de Paris s'élève à 2 hectares 46 ares 76 centiares, pour une somme de 8636,60 francs. Le 19 décembre 1869, le conseil municipal de Foissy, approuve à l'unanimité les dernières tractations avec la Ville de Paris.

Mais quelques mois plus tard, le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Le 2 septembre suivant, il capitule à Sedan. Le 4 septembre, à Paris, la République est proclamée: Jules Favre, Léon Gambetta forment un gouvernement de défense nationale présidé par le général Trochu.

Et à Foissy, que se passe-t-il ? Malgré la guerre, les élections municipales ont lieu les 7 et 14 août. Le 22 mai, Jean-Baptiste-Emmanuel Vajou a été approuvé comme maire et le 4 septembre, jour de la proclamation de la République, la nouvelle municipalité prête serment à un Empereur, déchu et prisonnier des Allemands !

Foissy connaît l'occupation : à leur départ, les troupes allemandes laissent une note à payer : le montant des réquisitions mises au compte de la commune s'élève à 10 699,50 francs, somme dont voici le détail :

contribution de bottes (nature et argent) 1 483,65
cigares 70,00
viandes 3 490,00
vin 877,00
cidre 22,50
bois 60,00
éclairage 18,05
pain 15,30
avoine 2 432,00
fromage 2 169,00
paille 62.00
total 10 699,50

Le 19 avril 1871, le conseil municipal se réunit sous la présidence du Maire Jean-Baptiste-Emmanuel Vajou, en présence des contribuables les plus imposés. La commune ne peut faire face à ces dépenses qu'en recourant à l'emprunt. Mais Désiré Guesnu, Lycidas Legros et Amand Jullien manifestent leur opposition. D'autant plus que les nouvelles élections municipales sont proches. Elles ont lieu en effet les 30 avril et 7 mai 1871. Maintenant maires et adjoints ne sont plus nommés par le préfet. Ils sont élus par le conseil municipal (loi du 14 avril 1871). Amand Jullien est élu Maire de Foissy avec pour Adjoints, Amand Gousse, pour Foissy, André Bonnemain, pour les Clérimois.

La guerre a arrêté les travaux de l'aqueduc. Ils reprennent courant 1871. Le 12 août 1874, l'eau prélevée aux sources de la Vanne, coule à Paris. La longueur totale de la dérivation, d'Armentières au réservoir du parc Montsouris à Paris est de 173 kilomètres.

Les événements ont suspendu les paiements. Déjà, au cours de réunion du conseil municipal, la question a été posée : que va-t-on faire de l'argent provenant de la cession des terrains à la Ville de Paris ?

Le 13 août, le Maire Amand Jullien annonce au conseil municipal que la commune devrait toucher la somme de 9 406,46 francs en tenant compte des pénalités de retard : 4 823,95 francs serviront au remboursement de l'emprunt contracté pour le paiement des réquisitions allemandes ; le reste a été affecté au solde de dépenses diverses concernant la maison d'école des Clérimois, le presbytère de Foissy, la construction du chemin des Caves aux Clérimois.

7 - Epilogue.

Dans ses "Etudes préhistoriques sur la région sud-est du Sénonais", Nazaire Lajon regrette que "par suite des travaux considérables que la Ville de Paris a fait exécuter de 1868 à 1895 pour la pose de ses conduites d'eau (...) l'aspect des lieux a été alors profondément modifié, depuis Milly jusqu'aux terres de Chigy."

Les conséquences de la diminution du courant d'eau dans la rivière, envisagées par le conseil municipal de Foissy, puis par le rapport de la commission Deligand, se sont hélas, réalisées à Rigny-le-Ferron. Avant la fin des travaux, les deux moulins à blé cessent de fonctionner, par suite de la captation des eaux du ruisseau (1872). Pendant vingt ans (1875-1895) la commune de Rigny-le-Perron assigne la Ville de Paris en justice, simplement pour que l'aqueduc de Cérilly apporte au village la quantité d'eau nécessaire, qu'il ne reçoit plus depuis le détournement des sources.

Isidore Gatouillat, qui fut instituteur à Fournaudin a publié en 1871 un opuscule intitulé "les échos de l'Yonne". Dans ce recueil, une étude historique précède une suite de poèmes. L'un d'eux est intitulé "Les eaux de la Vanne" ; en voici quelques extraits :

Charmantes eaux, vous qui de nos villages
Etiez l'orgueil, l'allégresse et l'amour,
Vous nous quittez, pour, de lointains parages
Pour habiter dans un noble séjour.
On a déjà reconnu votre source.
On a trouvé votre vieux réservoir
Paris pour vous ouvre sa grande Bourse ;
Nous vous perdons aujourd'hui sans espoir.

L'heure a sonné ! Vous devez sur la terre,
Subir du sort les inflexibles lois,
L'air retentit de notre plainte amère,
Nous vous voyons pour la dernière fois,
En arrosant notre chère prairie,
Vous augmentiez notre petit avoir,
Paris vous prend, vous changez de patrie
Nous vous perdons aujourd'hui sans espoir.

A votre aspect, eaux pures de la Vanne,
Nous vous bercions d'un riant avenir
Mais, loin de nous, votre flot diaphane
S'en va couler, pour ne plus revenir.
Il nous faudra renoncer à la pêche
Toujours si belle à l'approche du soir.
Paris a soif, pour lui la Seine est sèche :
Nous vous perdons aujourd'hui sans espoir

Nous nous plaisions sous vos toits de feuillages,
Sur le gazon de vos paisibles bords ;
Et nous aimions, dans vos joyeux bocages,
Du rossignol, entendre les accords.
C'est près de vous que l'amant, le poète,
Silencieux, venaient parfois s'asseoir.
Paris pour nous déchaine la tempête :
Nous vous perdons aujourd'hui sans espoir.

Foissy-Sur-Vanne, juin 2000