Foissy-sur-Vanne

 

Etienne Piédefer, Seigneur et bienfaiteur de Foissy

Au cours de la séance du Conseil Municipal de Foissy-sur-Vanne du 11 février 1883, le Maire, Amand Jullien, déclare à l'assemblée: ...« le Sieur Pied-de-Fer, seigneur de Foissy, ayant fait don aux habitants dudit Foissy, de tous les biens qu'ils possèdent en communauté, il serait convenable, afin de perpétuer le souvenir de ce bienfait, de donner à l'une des rues du village le nom de son bienfaiteur. Le conseil prend en considération le vœu exprimé par Monsieur le Maire et décide, à l'unanimité que la rue des Héros sera appelée à l'avenir Rue Pied-de-Fer. »

Cependant, aucune des plaques apposées aux coins des rues du village en 1975 ne porte ce nom. D'ailleurs, pour les habitants de Foissy, la rue des Héros reste « la Ruelle ». La récente extension de l'agglomération vers l'Ouest, signe d'une certaine croissance, a permis le percement d'une nouvelle rue dédiée à cet illustre seigneur.

Mais, outre sa qualité de « bienfaiteur de Foissy », que sait-on de ce personnage?

Comment une partie de la famille Piédefer s'est-elle installée en Pays Sénonais ?

Au XVIIème siècle, les Piédefer figurent parmi les « Grandes Familles de Paris ». Ils doivent leur notoriété à leur ancêtre Robert 1er Piédefer nommé Premier Président de la Cour du Parlement de Paris par le Roi Charles VII, le 25 février 1435. Seigneur de Saint-Just-en-Beauvaisis, Robert 1er Piédefer a épousé Jeanne Delly, dame d'Espiaiz-en-France, qui lui a apporté également en dot d'autres terres d'Ile-de-France et de Picardie. La recherche d'alliances dans ces régions a constitué une des traditions de la famille Piédefer jusqu'au XVème siècle, lorsque Michel Piédefer, fils aine de Robert 1er Piédefer et Jeanne Delly, Conseiller du Roi, Avocat du Roi au Châtelet de Paris, épouse Denise Chanteprime, dont la famille est établie à Sens. Son père Jean (II) Chanteprime, Maître des Comptes à Paris, l'a richement dotée puisqu'elle est « Dame de Saint-Mars, Villemoiron, Foissy, Champlost, Avrolles ». Ces fiefs seront répartis plus tard entre leurs enfants, qui forment la troisième génération de cette lignée, génération qui est celle d'Etienne Piédefer.

Michel Piédefer et Denise Chanteprime ont-ils souhaité établir leur famille en Sénonais? Il aurait fallu que leurs enfants « choisissent » de se fixer dans la région après leur mariage; mais celà ne s'est que très rarement produit.

La génération d'Etienne Piédefer

En effet, seuls deux de leurs six fils se sont établis sur des terres provenant de l'héritage Chanteprime : Etienne, le quatrième fils, qui fait l'objet de cette étude, et dont il sera question plus loin; Pierre, le cinquième fils, a épousé Charlotte de Viezchastel issue d'une famille de notables sénonais: leur descendance directe constitue la branche des Seigneurs de Champlost et d'Avrolles; fiefs qu'ils ont hérité de leurs parents; Pierre Piédefer, Maire de Sens en 1482 et 1455. a transformé l'ancien moulin acquis autrefois par les Chanteprime à Mâlay-le-Vicomte (Mâlay-le-Grand) afin de pouvoir y préparer la pâte à papier; Pierre Piédefer, décédé le 15 juillet 1503, et Charlotte de Viezchastel, qui lui a survécu plusieurs années, ont été tous deux inhumés à Sens dans l'Eglise des Cordeliers, auprès de la tombe de Jean II Chanteprime.

Les autres enfants sont demeurés indifférents à la vie en Sénonais:

Robert II dit l'Ainé, qui a hérité les charges de son père au Châtelet de Paris, a épousé Perrette Braque qui lui a apporté la terre de Guyancourt ; cette seigneurie reviendra désormais au fils ainé de chaque génération, constituant ainsi la branche des Seigneurs de Guyancourt ou branche des Ainés de la Maison Piédefer;

Jean, le deuxième fils, Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem;

Jacques, le troisième fils, Avocat à la Cour du Parlement de Paris, Prévôt des Marchands de Paris, en 1490 et 1498, marié, sans postérité;

Guillaume, le sixième fils, Clerc du Roi à la Chambre des Comptes, a épousé Marguerite de Sansac.

Le partage du patrimoine rassemblé par Michel Piédefer et son épouse a donné lieu à des discussions. En sa qualité d'ainé, Robert II aurait souhaité que son père lui transmette la totalité de l'héritage: ce dernier s'y étant refusé, les biens et titres provenant des successions Chanteprime et Piédefer. -Denise Chanteprime est décédée en 1471, Michel Piédefer en 1473-, furent (inégalement) partagés.

En se référant aux seuls titres seigneuriaux, et sans entrer dans le détail de la répartition des parcelles de terre, Robert II reste le mieux pourvu avec les fiefs de Saint-Just (en partie), Espiaiz, Guyancourt, Saint-Mards, Villemoiron, Châtillon, Viry.
Il donnera plus tard les seigneuries de Saint-Mards et d'Espiaiz à son troisième fils, Jacques, qui deviendra l'auteur de la branche des Seigneurs de Saint-Mards.

Les trois branches de la Maison Piédefer ont conservé les mêmes armes: échiqueté d'or et d'azur.

Etienne ne reçoit qu'une partie de la seigneurie de Foissy, mais il y exercera la justice.

Foissy-sur-Vanne à la fin du XVème siècle : état des lieux

En l'absence de documents précis, il est vraisemblable de situer l'installation d'Etienne Piédefer à Foissy vers 1475. L'on ignore également à quelle date il a épousé Geneviève de Milly, de la famille du plus important coseigneur de la paroisse : de cette union est née au moins une fille, Cécile, qui révélera une forte personnalité.

Les problèmes concernant les origines de la Famille de Milly et les circonstances de sa fixation dans la paroisse de Foissy ne sont pas envisagés ici.

Les conséquences des événements du XIVème siècle, le « siècle des calamités », et de la première partie du XVème siècle, sur la vie quotidienne des habitants de la Vallée de la Vanne, celle des seigneurs comme celle des paysans, sont ressenties, bien après le retour de la paix: en particulier à Foissy.

Dès le XIIIème siècle, le statut administratif de Foissy a été modifié. En devenant Reine de France par son mariage avec Philippe IV le Bel, Jeanne de Champagne et de Navarre apporte ces provinces à la Couronne de France. Aussi, à partir de 1285, Foissy, jusque là seigneurie champenoise relevant de la châtellenie de Villemaur, appartient au Domaine Royal et passe désormais entièrement sous la tutelle des administrations et institutions sises à Sens. Cependant les changements impliqués n'ont été réalisés que très lentement à cause, en grande partie, des calamités: épidémies (pas uniquement la Peste noire), famines, deuxième guerre de Cent Ans (1337-1453), guerres civiles et soulèvements, occupation anglaise, pillages. D'où une longue période d'exception dans la gestion des affaires intérieures qui a duré jusqu'à la fin de l'occupation anglaise

Jeanne Ière de Navarre, Bibliothèque nationale de France

Conséquence de ces tragiques événements: la dépopulation observée dans toutes les classes sociales, sur toute l'étendue du territoire français. Les seigneurs féodaux étaient issus de la Chevalerie, corps d'élite de l'armée royale regroupant uniquement les nobles, seuls habilités à combattre à cheval. De nombreux chevaliers ont péri lors des Croisades en Terre sainte, cette élite n'a pas été entièrement renouvelée. La deuxième guerre de Cent Ans se montre plus meurtrière encore puisqu'après trois batailles décisives, Crécy (1346), Poitiers (1356), Azincourt (1415), la Chevalerie française est décimée.

Les autres calamités n'épargnent pas les familles nobles: seigneurs et roturiers sont égaux devant la Mort. Faute d'héritiers, des fiefs et seigneuries passent aux mains de bourgeois et même de manants. Pour trouver plus facilement des acquéreurs, les biens à liquider sont divisés en lots: c'est ce qui se produit à Foissy aux XIVème et XVème siècles.

La situation de la classe paysanne apparait encore plus dramatique. Durant cette période agitée, la mortalité est élevée, surtout chez les hommes, aussi l'agriculture manque de bras. Mais, si de nombreux champs restent en friche, c'est également à cause de l'insécurité que font régner dans les campagnes les soudards et les pillards. Des familles entières préfèrent quitter leur village, y abandonnant une partie de leurs biens afin de se regrouper dans des lieux plus sûrs: les villes, par exemple .

C'est vraisemblablement vers la fin du XIVème siècle, que le village de Foissy a été partiellement détruit et probablement déserté par nombre de ses habitants. En 1444, lors du voyage du Roi Charles VII, toute violence a disparu de la Vallée de la Vanne.

Quand Etienne Piédefer entre en fonction, les terres de la paroisse de Foissy ont été partagées entre plusieurs propriétaires fonciers. Les possessions des seigneurs de Milly sur la rive gauche de la Vanne, s'étendent jusqu'aux confins des paroisses de Molinons, Les Sièges et Chigy, à l'exception d'enclaves comme la Créase, où l'on vient chercher les matériaux de construction, et l'Isle, lotissement où logent d'autres seigneurs dont les biens sont moins importants: les Héraut, les Hodoart, les enfants d'Adam de la Ramille.

Les héritiers de Jean de Foissy, seigneur de Créney-près-Troyes, possèdent des prés et surtout des bois sur le finage de la paroisse. Les forêts sont des placements plus recherchés que les champs, dont la terre, à cette époque, est jugée souvent trop pauvre, donc de faible rapport. Quant aux prés, ils intéressent surtout les éleveurs de bétail. Les seigneurs de Milly habitent leur maison forte construite sur le même site que l'actuelle ferme de Milly.

Etienne Piédefer possède une parcelle dans l'Isle, la majeure partie de ses biens se trouvant sur la rive droite de la Vanne: principalement des bois, qui s'étalent des Clérimois jusqu'au finage de Lailly, et des prés, en bordure de la rivière. Le lieu de sa résidence n'a pas été exactement localisé: en tant que seigneur justicier, il devait disposer d'une imposante demeure avec des dépendances, dont un cachot.

Mais les seigneurs ne sont pas les seuls propriétaires fonciers: l'Abbaye de Vauluisant possède la « pièce de pré » du Gué de l'Aulne, où les Cisterciens construisent un moulin; ainsi que des parcelles de terre louées à des manouvriers (7); plusieurs laboureurs de Foissy ont acquis des terres et des prés, comme Claude Bruneau, Jehanny Martin, Pierre Portier.

Le seigneur justicier

Après la deuxième guerre de Cent Ans, le système judiciaire français (complexe) reste sensiblement celui du Moyen-âge. Rendre la justice au nom du Roi de France est un droit reconnu aux suzerains dès l'institution du système féodal.

Dans un premier temps, seules les châtellenies disposent donc d'une justice seigneuriale s'exerçant à trois degrés. Un seigneur haut-justicier peut prononcer la peine de mort, dans certaines circonstances: aussi à l'entrée de ses terres se dressent les fourches patibulaires, gibet auquel on accroche le cadavre des suppliciés. Le moyen-justicier juge seulement des délits pouvant entraîner une amende de soixante sols. Enfin, le bas-justicier ne prononce que des amendes de six sols. Indépendamment des justices seigneuriales, il existe dans des villes telles que Sens, d'autres instances juridiques: les Prévotés et les Bailliages.

L'évolution de la condition sociale des seigneurs amène une révision des règles d'attribution de ces justices. Le droit de juger demeurant un privilège de la noblesse, les roturiers en sont privés. Outre les châtellenies, les seigneuries bien situées, possédées et administrées par des nobles de haute valeur morale, peuvent être dotées d'une justice seigneuriale.
Aussi, dans cette conjoncture, la présence à Foissy-sur-Vanne de « Noble Homme Etienne Piédefer, écuyer, seigneur haut-justicier, moyen et bas », n'a rien d'anormal. Appartenant à une famille d'hommes de loi, formé aux pratiques juridiques, il apporte une garantie supplémentaire à l'exercice de ses fonctions. Ce qui n'était pas le cas de la plupart des autres seigneurs justiciers qui auraient eu du mal à faire état d'une quelconque formation dans ce domaine.

Etienne Piédefer a d'abord clos les procès restés en suspens à cause des événements; plaignants et prévenus sont morts depuis longtemps, mais leurs héritiers respectifs continuent les poursuites. Tel est le cas de l'affaire Germigny: en 1391, Jacques de Germigny, Bourgeois de Paris avait acheté à Jean de Foissy, seigneur de Créney, des bois déjà vendus à d'autres personnes. Les interventions pour aboutir à un arrangement n'ont fait que compliquer la situation. Finalement, le 17 mai 1478, Etienne Piédefer fait signer un compromis entre les héritiers des deux parties.

A la même époque, des différends s'élèvent au sujet des Bois que le Chapitre de la Cathédrale de Sens a acquis en 1363. Les chanoines accusent les manants de Foissy de marauder dans leur propriété. Or, les limites de ce domaine demeurent assez mal fixées. Après enquête, aucune inculpation n'est retenue.

Pour Etienne Piédefer, les habitants de Foissy restent mal informés de la situation forestière de la France, à la différence des seigneurs. Au sein de leur paroisse, il ne subsiste pratiquement plus d'organisation valable. Aussi, sur le plan juridique, il faut justifier l'existence d'une communauté d'habitants dans le microcosme des coseigneuries, où le justicier est reconnu comme châtelain.

En cette fin de XVème siècle, la vie à Foissy est difficile. Les habitants ont bien du mal à reconstruire leurs maisons et à remettre en état un village dévasté. Le temps des seigneurs-chevaliers est révolu : en principe, en période de crise, les nouveaux seigneurs ne doivent plus ni aide, ni assistance à leurs censitaires. Par contre comme à l'époque féodale, ils continuent de percevoir le droit d'usage, lequel est loin de compenser la diminution des montants des loyers et des fermages, rendue nécessaire pour soutenir la reprise économique qui apparait à partir de 1450.

Etienne Piédefer et les usages de Foissy : rédaction de l'acte du 20 novembre 1493

Le terme « usage » désignait, à l'origine, un ensemble de biens seigneuriaux, dont les manants pouvaient avoir une jouissance temporaire, pour une utilisation en commun. Les règles de cette utilisation constituaient « les usages, » reconnaissant en fait aux manants un certain nombre de droits et de devoirs. Pour ces services le seigneur exigeait une redevance annuelle, le(s) « droit(s) d'usage ». S'ajoutant au cens, aux corvées et autres travaux pour l'administration seigneuriale, exécutés sans rémunération, le droit d'usage était devenu impopulaire. Déjà, en 1330, les habitants de Vulaines ayant refusé de le payer, leurs coseigneurs firent appel à la Prévôté de Sens afin de régler le litige. Lesdits habitants durent quand même s'acquitter de quatre deniers tournois chacun, payables aux coseigneurs annuellement le jour de la fête de Saint-Rémy, « au chef d'octobre ». En revanche, ils obtinrent, par écrit, une reconnaissance de leurs usages et de leurs droits.

Cent cinquante ans plus tard, le village de Foissy se trouve dans une situation comparable. Ses habitants éprouvent de plus en plus de difficultés à payer les impôts exigés par leurs seigneurs, dont les fameux droits d'usage. Et puis, après les calamités aux funestes conséquences, qui, dans la paroisse, peut connaitre encore les usages octroyés jadis par les seigneurs de Trainel, transmis oralement de génération à génération ? De même, les délimitations entre les parcelles doivent être revues, ainsi qu'Etienne Piédefer l'a constaté au cours des procès. Il n'est donc pas exagéré d'écrire que dans tous les secteurs de l'activité humaine, l'on observe la perte des repères traditionnels d'un groupe, dont l'objectif immédiat est la survie. Une mise à jour s'impose et l'acte du 20 novembre 1493 en est la concrétisation.

J'ai déjà eu l'occasion de citer ce document dans des études antérieures publiées dans « Le Petit Fusciaçois » de juillet 1997, et celui de juin 1998, me limitant à une brève analyse de son contenu, en signalant des points particuliers, sans envisager les circonstances de son élaboration. Ce point va être examiné maintenant.

La rédaction fort circonstanciée de cet acte permet d' écarter l'hypothèse d'une composition hâtive, sous une pression extérieure. Ce document est bien le résultat d'une longue concertation entre Etienne Piédefer et la communauté d'habitants de la paroisse de Foissy, représentée par ses procureurs : Jehanny Martin et Pierrot Regnard. Vraisemblablement il a été procède à une inspection de l'état des propriétés extérieures au village et à leur bornage, en utilisant les moyens empiriques de l'époque. L'essentiel est que ces discussions, constats voire expertises aient abouti à un accord qui fait date.

Quelle a été l'attitude des autres propriétaires fonciers lors de ces tractations? Les autres coseigneurs ont laissé Etienne Piédefer agir à sa guise. Par contre, l'Abbaye de Vauluisant et les propriétaires domiciliés à Foissy, ont participé à cette nouvelle définition des droits et des usages.

D'aucuns se sont étonnés de l'attitude d'Etienne Piédefer. En 1330, les coseigneurs de Vulaines firent condamner leurs censitaires par la Prévôté de Sens; en 1493, Etienne Piédefer recherche préalablement avec les habitants de Foissy, un accord qui sera entériné par la Prévôté de Sens. Mais entre ces deux dates se situe un événement de la deuxième guerre de Cent Ans: la Jacquerie de 1358, qui avait pris naissance dans le Beauvaisis, où les fiefs des ancêtres Piédefer furent partiellement pillés. Rapidement maîtrisée, cette révolte antinobiliaire, montra qu'il fallait compter maintenant avec une classe paysanne qui avait révélé son pouvoir. D'où la nécessité de développer les communautés d'habitants, chargées désormais de la gestion d'affaires locales relevant jadis de l'autorité seigneuriale. Ainsi peut se trouver justifié le comportement d'Etienne Piédefer. De plus, ses frères et cousins membres du Parlement de Paris l'ont tenu au courant de l'évolution des idées en ce début des Temps Modernes.

La signature de l'accord a donc eu lieu le mercredi 20 novembre 1493, par devant

Jehan Laisné, Valet de Chambre et Chirurgien ordinaire du Roi, Garde de la Prévoté de Sens, futur Maire de cette ville;
Pierre de Vielchastel, Ecuyer, Secrétaire, « Garde du Scel d'icelle Prévoté »,parent par alliance de Pierre Piédefer, frère d'Etienne.
Pierre Coline, Substitut juré, commis(d'office) en l'absence de Berthelemy Pineau, Tabellion Juré de ladite Prévoté.

ont comparu,

Noble Homme Etienne Piédefer, Ecuyer, Seigneur haut-justicier, moyen et bas de Foissy-sur-Vanne, d'une part;
Trente « manants et habitants de la Ville de Foissy » et leurs procureurs: Jehanny Martin et Pierre Regnard,
d'autre part; en présence de quatre témoins dont la qualité n'a pas été mentionnée.

Ce texte, où se trouvent mélangés considérations juridiques et conseils pratiques, appelle plusieurs observations.
Conformément à la coutume de l'époque, l'accord n'a pas été signé dans la demeure du seigneur justicier, mais à Lailly, fief de Pierre de Vielchastel, Garde du scel de la Prévôté de Sens.

Etienne Piédefer fait d'abord acte d'autorité:« (...)...Disant icelui Escuyer que comme à cause de Sadite Seigneurie et par certains moyens il a droit et lui appartient de prendre de chacun feu dudit Foissy à cause des usages de Bois, Prés, Royses, pescheries et abreuvage de leurs Bêtes (sic) chacun an la Somme de Six Deniers Tournois payable au Jour et Fête de St Rémy ». C'est une redevance raisonnable qui est demandée en comparaison des quatre deniers par an et par habitant exigés en 1330 par les seigneurs de Vulaines. Ce versement est perpétuel, dû également par les héritiers. Par contre, les arrérages sont effacés: les habitants de Foissy n'avaient donc pas tous payé leur droit d'usage. Une procédure de recours est prévue contre les manants qui manqueraient à leurs engagements.

En l'absence de plan, la localisation des parcelles de bois et de prés qui constituent désormais les usages et dont les superficies ne sont pas indiquées, n'est pas sans poser problème. Le repérage s'effectue essentiellement par rapport à des lieux-dits, dont plusieurs noms ont été modifiés au cours du temps. A tel point qu'en 1792, lors du procès intenté au citoyen (marquis de) Bérulle par les habitants de Foissy, des experts seront commis afin de situer le plus exactement possible l'emplacement de plusieurs de ceux qui figurent sur l'acte de 1493 et dont la mémoire collective avait en trois siècles perdu le souvenir et la trace. Une étude approfondie de ce document peut permettre de déterminer la situation des propriétés d'Etienne Piédefer, sans donner aucune information sur la topographie du village.

Les conseils pratiques concernent essentiellement les problèmes relatifs à la (re)construction des maisons d'habitation. Où trouver les matériaux: craie, bois, terre ? Comment entourer la demeure ?. Le choix de l'emplacement n'est pas libre : il est déterminé par le seigneur qui délivre aussi une autorisation « d'édifier et maisonner audit Foissy et non ailleurs... ». Le but de cette clause restrictive est de favoriser la reconstruction, en regroupant les habitations.

L'entretien des chemins et des chaussées, autrefois à la charge du seigneur, revient maintenant aux habitants, sous la responsabilité de leurs procureurs. C'est avec eux que l'administration royale réglera désormais la plupart des problèmes locaux.

La donation de 1497

Après les modifications du régime des baux ruraux au cours du XVème siècle, un doute pouvait subsister au sujet de la redevance payée au seigneur prévue par l'acte de 1493. Des juristes n'auraient pas manqué de relever que ces sommes payées annuellement et perpétuellement pouvaient constituer une sorte de crédit-bail à long terme, permettant aux habitants de Foissy d'acquérir les propriétés réservées aux usages, effaçant ainsi la notion de droit d'usage. De plus, les héritiers Piédefer, ne disposant plus de ces parcelles pour d'éventuelles transactions, auraient pu s'estimer lésés.

En faisant donation à la communauté d'habitants de Foissy des biens qu'elle gère depuis quatre ans environ, Etienne Piédefer ne fait que prendre une mesure conservatoire sauvegardant le reste de l'héritage. Cette donation, au fond une simple affaire de famille, ne modifie en rien les dispositions priées en 1493. C'est pourquoi cette pièce n'a jamais figuré dans les dossiers des procédures engagées contre ladite communauté. Dorénavant, personne ne peut plus prétendre que les six deniers tournois sont versés par les habitants pour l'acquisition de biens qui leur appartiennent déjà. La famille d'Etienne Piédefer conserve toutefois une part usufruitière.

Aucun document n'indique la date du décès d'Etienne Piédefer. Vraisemblablement il serait mort entre 1497 et 1513. Sa veuve, Geneviève de Milly, lui aurait survécu jusque vers 1530. Leur fille Cécile, nommée Dame de Foissy (en partie) et des Clérimois, eut fort à faire pour défendre l'héritage paternel contre les prétentions de sa famille maternelle.

Conclusion

Etienne Piédefer, bienfaiteur de Foissy ? Certainement, même si son action a manqué parfois de générosité spontanée. Il a fait profiter la population de ses connaissances juridiques et suite à son intervention, l'existence de la communauté d'habitants a été entérinée. C'est bien grâce à lui si ce village où il fait bon vivre existe encore.

PIERRE BELIN (Petit Fusciacois 1997)