Fossemore, de la léproserie à la sucrerie

Lorsqu'on parle de Fossemore, c'est l'Abbaye des moines de Dilo qui vient immédiatement à l'esprit. En réalité Fossemore  semble représenter la vallée de la Vanne à Theil entre la source Saint Philbert et le moulin de la Forge. Plusieurs moulins ont porté ce nom: celui de l'abbaye de Dilo (La Magdeleine) mais aussi celui des Hospîtaliers de Cerisiers (La Forge).

Dès 1139, un prénommé Foulques donna sa terre de Fossemore à l’abbaye de Dilo (cartulaire de l'Yonne).

De 1145 à 1184 les bâtiments abritèrent un monastère de femmes dépendant des Prémontrés de l'abbaye Notre Dame de l'Assomption de Dilo et une maladrerie.

Divers dons sont faits à cette époque. En 1154, Anseau Pocher, son épouse Rotznide et leur fils Mainard donnent ce qu’ils ont à la fontaine Saint-Philibert (à Pont-sur-Vanne) jusqu’à la voie des Sarazins qui mène au moulin des Echarlis, et ce qu’ils ont dans la forêt de Vareilles, pour établir leurs filles Sanaolde et Christine .

Ces religieuses avaient une grande dévotion pour Sainte Madeleine perpétuée par les noms de lieu entourant l'abbaye: fief de la Madeleine, chapelle Sainte Madeleine, ru de la Magdeleine, La petite Magdeleine...

Passé 1184, on ne voit plus les religieuses s’activer à Theil.  Pour autant, leur patrimoine n’est pas dilapidé. Les moines de Dilo ont repris en main le domaine.


Un Prémontré au XVIIème siècle


Nous n’avons pas de trace de moulin avant 1262 date du conflit avec le couvent des Echarlis.

Conflit entre les Escharlis et l’abbaye de Dilo

En 1262 Les Eschalis et l’abbaye de Dilo concluent un accord pour l’usage des eaux du ruisseau de Fossemore (archives de l’Yonne H635). Le résumé effectué par le rapporteur du couvent des Eschalis se résume ainsi : Il y a deux sujets de contentieux touchant les moulins de Fossemore et de Vaumorin. L’un des différents que nous avons avec l’abbé Hambard du couvent de l’abbaye de Dei Loci , Lieu Dieu, touche l’eau que nous prenions pour notre moulin. Il est dit que nous ne pouvons plus avoir qu’un pied de dénivelé d’eau comme anciennement et que l’eau de décharge partirait pour abreuver les prés et que l’on curerait la rivière à frais communs.


En 1350, en pleine guerre de cent ans, le bailli de Sens avec quelques nobles du voisinage ordonna d’abattre tout ce qui pouvait servir d’asile à l’ennemi.

C’est ainsi que furent détruits le moulin des moines de Dilo et leur maison de Fossemore .

A partir de 1456 et pendant plus de soixante ans, les lieux furent transformés en une usine destinée à traiter le minerai de fer.

De 1456 à 1528 en ce moulin un soult à faire fondoire

Au cours du XIVe siècle, une innovation voit le jour dans l'extraction du fer du minerai: la force hydraulique. Elle est utilisée pour la ventilation des foyers des bas fourneaux.

L'utilisation de roues à aubes ou à godets en remplacement de la force humaine permet d'augmenter la puissance des vents et d'en assurer la régularité. Ceci permit l'augmentation de la hauteur des fours jusqu'à atteindre quatre à cinq mètres.


Avec un fourneau de cette hauteur et les températures permises par les nouveaux soufflets, le fer une fois réduit se combinait au carbone, produisant de la fonte, dont la température de fusion (environ 1200°) est nettement inférieure à celle du fer pur.

On obtenait donc de la fonte liquide au bas du fourneau, et non plus la loupe de fer pâteux qu'il fallait jusque là extraire du bas-fourneau pour l'amener à la forge.


Musée du fer de Nancy

En 1456 deux baux furent signés avec Jehan Remi pour créer une métallurgie à Fossemore

Jean Gondard, Abbé de Dilo, confie à Jehan Remy «maître et gouverneur des forges et moulins de Fossemore», par bail à quatre vies et les 19 ans suivant la quatrième vie, "un soult à faire fondoëre , au lieu dit le moulin, ensemble le minerai à prendre pour lui et ses ouvriers, en tous les bois il pourra prendre pierres pour y construire le fourneau de la dite mine moyennant 12 livres de rente"

C'était la nouvelle technique des hauts fourneaux qui s'implantait dans la région.

La même année, en 1456,  l'Hospital de Cerisiers baille à Jehan Remy le moulin et la forge sur la Vanne.  (futur moulin de La Forge)

Ainsi Jehan Remi regroupait entre ses mains l'extraction du métal et son façonnage.

Cette métallurgie exista au moins jusqu'en 1528


En 1515, sur injonction de Cochivon, sergent de la châtellenie de Malay le Roy on effectue un inventaire des biens de Fossemore. On dénombre : l’église et les bâtiments les bois et buissons, Champfétu, la grange de Vaultrognon. Le total étant estimé à 600 arpents.A cela s’ajoute une place à faire moulin et 60 sols de créances.

Le lieu-dit fut habité dès 1570 et le fief fut érigé en 1586.

En 1586, l’abbaye de Dilo est taxée pour subvention (la sixième taxation par Charles IX), l’abbé commendataire, nommé par le parti royaliste, vend le droit de reversion sur la terre de Fossemore à Louise de la Rivière moyennant 279 écus d’or sol et 20 livres de rente annuelle.

Le 16 juillet 1631, l’abbé commendataire Henri de Vignoles (1626-1663), par ailleurs vicaire général de Sens, obtient un arrêt du Parlement de Paris portant qu’à l’expiration des 99 ans, l’abbaye rentrerait en possession de cette terre en remboursant le prix de l’aliénation et les «loyaux coûts ».

Gédéon I° de Conquérant, seigneur de Gondreville,  se fait déclarer « propriétaire in commutable » par un arrêt obtenu par surprise, en déclarant que les religieux n’avaient pas satisfait à l’arrêt de 1631 puisqu’ils n’avaient pas remboursé le prix principal de l’aliénation.

Les religieux ne l’entendent pas ainsi et le 16 juillet 1648, il est établi un dossier des pièces concernant les points de contestation entre les religieux et les Sieurs de Conquérant.

L’affaire est plaidée sans grand résultat, pendant plus de cent ans, mais finalement le 20 septembre 1751, on trouve un accord sur les sommes encore dues aux de Conquérant. Les arrêts de 1642 et 1643 seront pleinement exécutés et les moines réintègreront Fossemore.

En 1751, curieusement, parallèlement à cette action, Mr de Sérilly acquiert auprès de la famille de Conquérant le fief de Dilo à Chigy .

Mais ce n’est qu’en 1759 qu’un accord définitif intervient : les moines devront payer 2.000 livres par an pendant 18 ans. Qu’advint-il ensuite ? Il semble qu’à la révolution, la Madeleine ne fasse plus partie des biens de Dilo, puisqu’elle n’est pas inventoriée, ni vendue comme bien National.

Il faudrait de plus amples recherches pour connaître son devenir. Mais , comme, en 1786 et 1787, Mr de Sérilly passe un très grand nombre de baux à ferme et qu’en 1821 il crée une sucrerie dans le moulin de La Madeleine, tout nous porte à croire que les « de Sérilly » ont réussi à mettre la main sur la Madeleine et ses dépendances, soit avant, soit après la révolution. 


Plan du château de l'abbaye de Dilo (1751)

Depuis 1791, la flotte anglaise imposait un blocus maritime, qui avait rendu difficile le ravitaillement en sucre en provenance de nos colonies. 

Au début de 1811, une commission de l'Académie des Sciences publiait une « instruction sur la fabrication du sucre de betterave » faisant le point de la question.

Huit jours plus tard, Napoléon ordonna, par un décret en date du 29 mars 1811, qu'une superficie de cent mille arpents (40.000 hectares) fût réservée à la culture de la betterave.


Emplacement de l'ancienne sucrerie
(cadastre napoléonien de 1835)

A la chute de l'Empire, plus de 200 sucreries étaient en activité et produisaient au total de 2 à 3 000 tonnes de sucre. Le commerce maritime reprit, et le sucre de canne de nos colonies envahit à nouveau nos marchés, faisant chuter le cours du sucre. Mais la récession ne va pas durer.

 En 1821 la consommation de sucre était de 1,4 Kg par an et par habitant. Elle va exploser. (35 Kg aujourd’hui par an et par habitant). Les besoins de la France vers 1820 étaient donc de 42 000 tonnes pour 30 millions d’habitants.

C’est dans ce contexte que la famille Mégret de Sérilly construit une fabrique de sucre en 1821.

Dans les archives de la famille Thomas de Pange au Service départemental d’archive de la Moselle, il est répertorié un acte d'association concernant, Armand-François Mégret de Sérilly, pour la création d’une fabrique de sucre, établie à Theil.

La fabrication du sucre exige d'énormes quantités d'eau (un m3 d'eau pour une tonne de betteraves traitées).

M. de Sérilly implante sa fabrique dans le moulin de la Madeleine de l’ancienne abbaye de Dilo, à proximité du ru du moulin qui lui fournira son eau et son énergie.

Armand-François Mégret de Sérilly décède en 1826. Il sera inhumé à Theil.



En 1833 l’avis de fermeture de la fabrique de sucre est ainsi entérinée :

"Il est regrettable que la fabrique de sucre de betterave établie à Theil, il y a dix ans, par M. de Sérilly, ne fonctionne plus. Elle occupait au moins 25 personnes pendant l’hiver. Le sucre, d'un goût particulier, était recherché par les confiseurs et restaurateurs de Paris.

Le pays de Pont-sur Vanne fournissait beaucoup de betteraves de très belle qualité. 

Plus d'un arpent de terre eut rapporté annuellement 300 fr. au moins et si la sucrerie eut continué, les terres eussent été vendues au poids de l'or."


Chaudières de fabrique de sucre


La sucrerie de Theil fut rachetée par Monsieur Boureau qui, en 1839, la retransforma en moulin à farine.

Moulin du Château contre moulin de la Magdeleine

Extraits de la lettre du juge de Villeneuve l’Archevêque nommant un expert le 8 janvier 1840.

M. Boureau acquit la sucrerie de Theil et la transforma en 1839 en moulin à farine.

Son plus proche voisin était M. Lecrocher, lui aussi propriétaire du moulin du Château qu’il avait acheté à Mlle de Sérilly.

« M. Boureau aurait fait sur le ruisseau qui alimente son moulin des travaux qui feraient refluer les eaux jusque sous la roue du moulin de lui M. Lecrocher et qui empêcherait son usine de fonctionner aussi librement que par le passé. Circonstance qui lui amènerait un préjudice.

La mise en farine du moulin de M. Boureau n’a eu lieu que depuis moins d’un an, une demande en trouble de possession a été formée contre lui. »

Un décret royal du 20 juin 1842 fixe les conditions d’utilisation du moulin :


"Nous avons ordonné et ordonnent ce qui suit :
Article 1 Le sieur Boureau est autorisé à maintenir en activité le moulin à blé qu’il a rétabli sur le ruisseau de la Madeleine à Theil département de l’Yonne. Il est autorisé en outre à dériver de la rivière la vanne, les eaux nécessaires pour augmenter la force motrice de ce moulin en recueillant sur le passage de son canal, toutes celles des rus de Saint Philibert et de Loye.

Article 2 l’eau du ruisseau de la Magdeleine pourra être relevée par le permissionnaire a un niveau tel que sa surface, à 25 mètres en aval du pont sur lequel la route n°5 traverse ce ruisseau, affleurera exactement le dessus d’une borne en grès à rive gauche à 2 mètres et 21 cm en contrebas du dessus du bahud de la tête amont du ponteau et à 1métre et 56 cm en contrebas du dessus du cordon en briques qui règne sur le premier étage du bâtiment du moulin… 

(évidemment !!!)

Article 18 faute pour le sieur Boureau de se conformer exactement aux dispositions de la présente ordonnance ,le moulin sera mis en chômage par un arrêté du préfet, sans préjudice de l’application des lois…

signé : Louis-Philippe

Le 10 janvier 1845 est dressé un procès-verbal, selon lequel les travaux prévus dans l’ordonnance du 20 juin 1842 ne sont pas réalisés.

Le moulin est mis en chômage immédiatement et la clé du cadenas confiée au maire.

Entre temps M. Boureau avait revendu son moulin au sieur Corpechot.

Aujourd’hui, 170 ans plus tard, c’est la ferme de Lionel Languillat.




L'ancienne propriété des Moines de Dilo, aujourd'hui.

Vous pouvez découvrir l'ensemble des articles sur
Fossemore, la métallurgie à Theil, la guerre des Moulins, la sucrerie...
dans notre bulletin N°13 "Au courant de la Vanne" de décembre 2013.